Chroniques

Autrement : Sidi Bourget pensez pour nous

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La 28ème, très précisément : bientôt trois décennies, donc, que se tient ce qui est devenu le plus grand rassemblement des musulmans en Europe. A déambuler parmi les stands, à prêter l’oreille aux discussions dans les allées, à écouter les conférences qui se succèdent toute la journée, on ne peut s’empêcher de sourire, puis de s’inquiéter, puis de se rassurer. Car il y a tout à la fois  quelque chose de léger et de grave dans ce grand rendez-vous des musulmans. Le léger, ce sont toutes ces jeunes filles et ces jeunes hommes qui arborent un «muslim style» savamment étudié et sérieusement porté, mais qui ne suffit pas à couvrir, et encore moins à ternir, heureusement, la légèreté de leur âge. Des paupières se baissent et démasquent le fard assorti au voile. Des barbes bien taillées jaillissent de grands sourires charmeurs. Les échanges sont discrets, mais pas timides. Il y a, en même temps que la pudeur qui s’impose, le joli souffle de la vie qui propose, une discussion, une rencontre. Le léger, c’est aussi toute cette coquetterie qui s’étale dans les stands de foulards, de robes, et même de vêtements de sport pour femmes musulmanes. A ceux qui pensent que les femmes voilées sont dans un déni de leur féminité, les couleurs vives des tissus et les drapés très étudiés apportent un démenti cinglant. Et puis il y a du grave. Le grave, c’est par exemple la profusion de livres, très demandés et très achetés, sur le chemin à suivre pour être un «bon musulman». Comme s’il n’y avait qu’une seule interprétation, compréhension et manière de vivre l’islamité. Et comme si tous ceux qui ne la suivaient pas étaient par conséquent dans l’erreur. Le grave, c’est aussi la multiplication de produits «halal», notamment à destination des enfants : des bonbons hallal, aux produits pour bébés, en passant par des poupées voilées. Comme s’il y avait désormais un «halal way of life», qui impose un équipement totalement certifié conforme. Par qui ? On ne sait pas. Le grave, c’est aussi tous ces hommes dont on ne sait pas d’où ils viennent, qui ils sont, qui collectent des fonds pour construire qui des lieux de culte, qui des associations musulmanes, qui des «centres d’éducation». Comme si chacun prêchait pour sa mosquée, au lieu de converger vers une représentation légitime, unique et efficace. Le grave, enfin, c’est le manque assourdissant de débats critiques. On vient au Bourget pour écouter religieusement, pour boire les paroles d’hommes dont on a sacralisé la pensée. Des milliers de visages tournés vers la scène où se bousculent des écrivains, des religieux, des chercheurs, des savants musulmans, dont on écoute les conférences comme on écouterait des prêches. Pas de questions: on reçoit la communication, puis on s’en va. Pas de débats : le Bourget met d’accord des gens déjà d’accord. Au lieu de poser des questions dont les musulmans ont plus que jamais besoin, au lieu de les amener à réfléchir, à prendre des risques en osant la critique, le Bourget donne des réponses qui résonnent comme des vérités. Il serait temps qu’elles «raisonnent». C’est urgent.

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