Certains commentateurs ont ainsi avancé l’hypothèse que la série «24H chrono», au succès mondial, ne fut pas étrangère à la victoire d’Obama. Dans cette série, le président des Etats-Unis David Palmer était en effet incarné par un «Noir», en l’occurrence l’acteur Dennis Haysbert. Ce n’était d’ailleurs pas une première : au cinéma, plusieurs acteurs afro-américains avaient déjà incarné un président. On ne pourra certes jamais mesurer l’impact réel de ce genre de fiction quand elle semble devenue tout à coup réalité. On peut néanmoins penser qu’elle a joué un rôle pour faire bouger les lignes, décloisonner les mentalités ou tout simplement mettre à nu une réalité que l’on refuse de voir.
Récemment, et pour la toute première fois, c’est une série arabe qui a remporté le prix de la meilleure production audiovisuelle étrangère lors de la remise des prestigieux Emmy Awards. Il s’agit de Al Ijtiyah («l’Invasion»), une production jordanienne qui raconte une belle histoire d’amour entre un Palestinien et une Israélienne, sur fond d’incursion israélienne en Cisjordanie en 2002. Tournée en Syrie avec des acteurs jordaniens, syriens et palestiniens, la série n’a été diffusée que par la chaîne libanaise LBC pendant le mois de ramadan de 2007. Les autres chaînes arabes l’ont pour l’instant boudée. C’est vrai que parler des massacres de Jénine tout en évoquant l’amour entre un Palestinien et une Israélienne a quelque chose d’irréel pour ne pas dire de scandaleux, et les producteurs ne l’ignoraient pas. Mais ce qui est intéressant n’est pas tant la série elle-même – une fiction – que les efforts pour l’ignorer dans le monde arabe. Repérée et récompensée au niveau international, elle est restée non diffusée dans les divers pays autour de la Méditerranée. Raisons politiques, raisons d’Etat, raisons sociales et culturelles ? Sûrement. Mais aussi, à l’évidence, refus symptomatique de voir la réalité telle qu’elle est – car les histoires d’amour entre des hommes et des femmes dont les peuples sont ennemis, eh bien oui, cela existe, n’en déplaise à certains, et elles transcendent la guerre et la mort.
Voilà une contradiction flagrante de nos sociétés. L’image y est reine, elle est archi-présente dans la communication, elle compte autant et même beaucoup plus que tous les discours. Et en même temps, dès qu’elle dérange et bouscule, elle est décriée, on crie à la manipulation ou à la mise en scène, donc au travestissement de la réalité. Autrement dit, il y a les bonnes images – celles qui vont dans notre sens – et les autres – celles qui nous déplaisent… Ce rapport à l’image est, il faut bien le dire, un peu infantile. La réalité sociale est prise dans les images : la fiction ou le spectacle peuvent la servir en la dramatisant ou en la dédramatisant, en visualisant ce qui ne peut se dire, en déclenchant la parole sur le non-dit. Les images obligent aussi parfois, comme on dit, à regarder la réalité en face, à voir ce qu’on ne veut pas voir, et à entendre ce à quoi on reste sourd. Al- Ijtyah mérite donc à tous égards d’être vu.