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Autrement : Un Prophète illettré ?

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Le Prophète de l’Islam était-il lettré ou illettré ? Etait-il «ummî» ou non ? A voir l’étymologie du mot, les débats à son sujet chez les premiers exégètes de l’Islam et les affirmations de chercheurs contemporains, la question n’est pas prête d’être tranchée. Cela la rend d’autant plus polémique qu’elle revêt un caractère crucial pour les croyants. En effet, la foi musulmane n’a cessé d’affirmer que la dimension la plus miraculeuse de la vie du Prophète de l’Islam résidait dans le fait que celui-ci ait pu recevoir le Coran dans toute sa pureté divine, alors même qu’il était vierge  de toute science. Pourtant, la tradition musulmane fait état d’épisodes au cours desquels on voit le Prophète écrire. Par exemple à l’occasion de la conclusion d’un pacte avec ses adversaires ou, peu avant sa mort, pour demander de quoi rédiger son testament spirituel. Ces épisodes ont dérouté les exégètes musulmans. Pourquoi le Coran évoque-t-il à deux reprises, pour qualifier le Prophète, le mot «ummî» ; les exégètes ont choisi de le traduire majoritairement par «illettré» ? Pourtant, dès les premiers siècles de l’Islam, certains savants ont proposé plusieurs sens à ce mot, qui pourrait signifier «le peuple des Arabes» ou bien «les habitants de La Mecque» ou encore «pur, naturel», comme l’enfant qui vient de naître. Les chercheurs contemporains ont proposé d’autres sens à la lumière d’un travail plus poussé sur la sémantique de l’Arabie du VIIème siècle : «Ummî» pourrait aussi bien signifier «Gentil», c’est-à-dire un individu ou un peuple qui n’a pas encore eu accès aux écritures révélées. Le Prophète serait dans cette perspective un ingénu, qui n’aurait pas encore été éclairé par la révélation. C’est d’ailleurs cette définition qu’a retenue Mohammed Hamidullah dans sa traduction du Coran.
Avec le temps, le concept d’illettrisme du Prophète est devenu un argument crucial contre les adversaires de l’Islam, notamment ceux qui estimaient que le Prophète s’était en réalité inspiré d’autres textes révélés pour rédiger le discours coranique et le dicter comme s’il s’agissait d’une révélation. Mohammed Arkoun, lui, est un des rares à avoir souligné l’inutilité de tels débats. Ils sont selon lui totalement anachroniques car le Prophète appartenait à une société où dominait l’oralité : la capacité qu’il aurait eue – ou pas- à écrire et à lire n’est pas une question qui se pose dans ces sociétés. C’est un «impensable» et un «impensé». La véritable question n’est en réalité pas tant de savoir si le Prophète était lettré ou non – pour peu qu’on retienne la traduction de «illettré» pour le mot «ummî». La question est plutôt de s’interroger sur les raisons pour lesquelles cet aspect de sa personnalité est devenu important à un moment donné. Peut-être qu’il a participé au passage de Mohammed, personnage historique, au Mohammed Prophète, capable de réaliser l’irréalisable. Un «analphabète» capable de léguer une révélation dans un style et une langue considérés comme irréprochables… c’est l’impossible rendu possible !

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