Chroniques

Cartographies humaines

© D.R

les dealers ont de beaux jours devant eux, les pilules se vendent comme des petits pains, des adolescents se font piéger, des jeunes finissent en prison, d’autres portent des traces pour la vie quand certains tentent difficilement de tourner la page.

Pour vérifier si une personne a un jour avalé du Rivotril, faites un diagnostic cutané pour voir si les bras et le ventre portent ou non des scarifications. Ces balafres assénées toujours dans un état second sont la preuve qu’au moins, une fois, le consommateur a touché aux portes de l’enfer. Une forte prise de psychotropes fait entrer dans des états insoupçonnés pour le commun des mortels. Ce que les consommateurs racontent de leurs « voyages » dépasse l’entendement, mais les médecins ont une explication à ce type de folie : «Quand on prend une certaine dose, on perd toute notion de la réalité et de la conscience. Le sujet ne ressent plus la douleur, d’où ces mutilations, ces coups de rasoir ou de couteau que l’on voit sur de nombreux jeunes». Les propos de ce psychiatre rejoignent ceux d’un urgentiste qui relate le cas d’un gamin de 18 ans qui s’est porté pas moins de 80 coups de rasoir sur les bras. Un véritable parchemin sculpté dans l’inconscience. Sauf que le réveil est dur : «Le sujet constate les dégâts, mais peut récidiver plusieurs fois, pour oublier ces mêmes mutilations qu’il s’inflige».
D’autres, au lieu de se porter des coups, attaquent les gens dans la rue à coups de sabre, de couteaux, de rasoir, de tournevis et d’autres armes imparables. Et même après «une guérison» le consommateur mutilé subit une autre forme de terreur liée aux scarifications : il y a la honte de montrer son corps en public, la honte vis-à-vis de soi et surtout, comme c’est souvent le cas, certains tentent de s’éliminer pour couper le mal à la racine ». Et c’est là que les cas de tentatives de suicide deviennent des plus alarmants. D’ailleurs, des études réalisées par des chercheurs sur le suicide démontrent quel rôle jouent l’addiction et les psychotropes dans les cas de suicide.
Dans d’autres cas, moins extrêmes, des jeunes filles entre 12 et 17 ans se prostituent sous l’effet des psychotropes, des passes dans les voitures, des virées avec des hommes trois fois plus âgés qu’elles, pour quelques centaines de dirhams, une fragrance, des habits et de quoi se payer son kiffe du lendemain. «Une ex-copine tapinait pour se payer ce qu’elle voulait, explique une lycéenne du centre-ville. Quand elle a quitté le lycée, elle en était à l’ecstasy et à la blanche». D’abord du «karkoubi», quelques pilules de Nordaz ou de Rohypnol avant de tester de l’ecstasy et se faire un sniffe. Le reste du chemin est semblable à une plongée dans les affres des addicts. Quand les parents se rendent compte, c’est souvent trop tard. Les nantis tentent de sauver les meubles en expédiant les jeunes toxicos dans des centres en Europe loin des regards. Les pauvres constatent et attendent de voir leur progéniture passer à la vitesse supérieure, tuer, massacrer, violer et finir à Oukacha.
Reste que malgré cet état des lieux, diagnostiqué et connu des autorités, les dealers ont de beaux jours devant eux, les pilules se vendent comme des petits pains, des adolescents se font piéger, des jeunes finissent en prison, d’autres portent des traces pour la vie quand certains tentent difficilement de tourner la page. La réalité est que les psychotropes rongent le tissu social à la base, le bouffe dans sa jeunesse, ce qui fait dire à plusieurs médecins et à des membres de la police nationale que l’urgence est de créer des centres pour traiter les addictions, assainir par « tous les moyens les quartiers, organiser des rafles, faire une véritable campagne nationale de lutte contre le karkoubi dont les dégâts sont de loin plus dangereux que toutes les autres formes de criminalité au Maroc».

Par Dr Imane Kendili

Psychiatre et auteure

Articles similaires

Chroniques

Un peuple éduqué sera toujours un peuple responsable

Aujourd’hui, est analphabète non pas celui qui n’aura pas appris à lire,...

Chroniques

Mon ami le stress …

Pour mieux t’identifier et ne plus te confondre car ça nous arrive...

Chroniques

L’âme d’un pays !

Les centres culturels et les théâtres restent le plus souvent en manque...

Chroniques

Le Polisario, un poison africain

Que ce soit sur le plan diplomatique ou sportif, le Polisario pose...