Mais, être un artiste signifie aussi passer par des moments difficiles. Il y a certaines difficultés que l’on ne vit que durant la transition vers le professionnalisme et d’autres que l’on vit régulièrement jusqu’au dernier jour d’atelier. Lorsqu’un artiste décide de devenir professionnel, il faut qu’il soit d’abord capable de passer le premier obstacle : sa famille et ses amis. Par amour et parce qu’ils lui veulent du bien, ses proches essaient de le dissuader de prendre l’art trop au sérieux ou de compter en vivre. Ils lui conseillent alors de pratiquer l’art comme un passe-temps. Les plus coriaces lui diront que l’art n’est pas indispensable, ou qu’il faut être médecin, ingénieur ou avocat pour être utile à la société.
Ces moments terribles de doute et de remise en question sont très difficiles, et seuls les gens déterminés arrivent à les supporter. Ceux qui sont taillés pour cette magnifique aventure réussissent à passer ce premier obstacle pour en trouver bien d’autres encore devant eux. Tous les artistes vivent une certaine ambivalence. Une double vie, une existence d’être humain ordinaire et une autre d’artiste qui rêve, imagine et crée ; ce qui n’est pas toujours compatible. Il est difficile de jongler avec le réel et l’imaginaire, la richesse et le néant, la certitude et le doute, l’espoir et le désespoir. Difficile de vivre constamment dans la complexité, les paradoxes, l’ambigüité, l’isolement, la recherche de la liberté, de l’indépendance, du désir et du plaisir. Chez les artistes-peintres, la difficulté ne se limite pas aux préparatifs avant les expositions, à la diffusion des informations, à la recherche de la reconnaissance sans se compromettre, à la résistance à la méchanceté humaine et aux éventuels rejets. Elle ne se limite pas aux divers voyages qui l’éloignent régulièrement de ses amours. En fait, il y a de la difficulté même dans l’action de peindre elle-même ! Comment pouvez-vous trouver les bonnes formes, les bonnes couleurs et les meilleures techniques pour représenter une émotion, un sentiment mystérieux, une vision furtive ou absurde? «L’inspiration première est joie. Le travail se fait douleur…» André Derain. Comment tenter de mettre sur toile toutes les nuances d’une vision réelle ou virtuelle sans devenir fou ? Comment évaluer la qualité de son propre travail ? Même ce maître de la peinture qu’était Eugène Delacroix rencontrait certaines difficultés en peignant. Il disait qu’il fallait un cœur d’acier pour prendre toutes les décisions nécessaires pour finir un tableau !
Mais, vous savez, s’il n’y avait pas d’hiver ou de canicule, le printemps ne serait pas aussi agréable. L’artiste qui ne vit pas de difficultés dans son art ne fait probablement rien d’important.