Chroniques

Devoir de mémoire

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L’Histoire, dans ses grandes lignes immuables, nous apprend que chaque civilisation s’appuie sur les différents héritages de celles qui l’ont précédée po ur bâtir sa force et pour s’installer dans la durée.

Le monde tel que nous le connaissons commence il y a quelque 7.000 ans, avec la première civilisation officielle, celle de Sumer, en Mésopotamie, dans l’Irak actuel. Sur les rives de deux fleuves, le Tigre et l’Euphrate, des humains se sont sédentarisés, d’après les livres d’Histoire tels qu’ils sont enseignés dans les écoles.
Une société s’organise et invente ses lois et ses règles. Elle crée des mécanismes de gouvernance. Elle met en place une série de codes sociaux pour régir la vie en communauté. Apparaissent les dirigeants qui régentent cette société nouvellement née, sans aucun modèle précédent, si l’on en croit toujours les livres scolaires. Suivent l’administration et l’organisation de la vie en communauté à partir de textes édictés par les gouvernants et approuvés par l’ensemble de la conglomération. Le premier État souverain voit le jour. Mais ce nouvel ensemble inédit, puisqu’il n’a pas d’antécédent, apporte aussi tout un système de pensées et de valeurs. Une religion, avec un panthéon bien défini. Des divinités tutélaires. Une hiérarchisation des déités. Des valeurs sociales bien claires: l’amour de l’ordre, l’obligation du respect, la quête du bien, la recherche de la vérité, le besoin de solidarité, l’impératif de cohésion, le devoir de patriotisme, la croyance généralisée en une idéologie commune, la protection du culte et de ses lieux, la célébration du savoir et de la connaissance. Ceux qui savent ne peuvent en aucun cas être assimilés à ceux qui ignorent. Dans cette configuration, bien simple du reste, le savoir partagé au sein de la communauté semble sortir du néant.
Des millénaires d’errances en tant que chasseurs cueilleurs, puis subitement, une catégorie de cette humanité encore rudimentaire, toujours selon les livres scolaires, s’organise en société, met en place tout un système de symboles et se découvre des connaissances révolutionnaires pour l’époque : un haut savoir astronomique et astrologique, un calendrier, un système de calcul, des mathématiques, une écriture, le cunéiforme en l’occurrence, qui sera perfectionné pour donner corps à d’autres écritures, à une mythologie dense, à des techniques inédites comme l’agriculture, comme l’irrigation, telle que l’élevage, la confection des habits et des costumes, à des fêtes, à des saturnales, à des rites et à des mystères. Sorti du néant, une culture s’installe et entame le long chapitre des civilisations humaines qui vont se succéder jusqu’à celle-ci, de nos jours, dite thermo-industrielle, et qui vit ses derniers soubresauts avant un effondrement annoncé. La suite des événements historiques verse dans une seule logique : d’un côté les cultures qui se suivent se transmettent une partie de leur civilisation ; de l’autre, aucune culture ne peut émerger du vide. De Sumer au XXIème siècle, en passant par l’Assyrie, par Babylone, par l’Égypte des Pharaons, par l’Empire chinois, par la Perse antique, par la Grèce antique, par l’Empire romain, par l’Empire islamique, par le Saint Empire romain germanique, par l’Empire Ottoman, par la Renaissance, par les Empires coloniaux, jusqu’aux deux guerres mondiales et la guerre Froide avant d’entrer de plain-pied dans l’ère du soupçon avant la chute finale d’une culture qui a épuisé toutes ses ressources et qui a limé tous ses ressorts.
L’Histoire, dans ses grandes lignes immuables, nous apprend que chaque civilisation s’appuie sur les différents héritages de celles qui l’ont précédée po ur bâtir sa force et pour s’installer dans la durée. Cela passe par la guerre et l’hégémonie du vainqueur. Ou alors par la transmission pacifique, certes très rare, dans l’histoire humaine. Dans les deux cas, il y a un passé reconnu dans lequel on puise pour construire le présent et se projeter dans le futur. Sauf que dans ce processus, il y a de grandes inconnues. En ce qui se réfère à ce qui est convenu de nommer le début de la civilisation, celle-ci semble sortir de nulle part, avec un haut degré de sophistication, extrêmement rapide. Pour de nombreux chercheurs, ladite nouvelle civilisation est une culture de réemploi qui redécouvre ce que d’autres cultures avaient découvert dans des temps immémoriaux remettant au goût du jour ce savoir des Anciens qui se recycle d’une période historique à l’autre.
C’est le cas pour la civilisation sumérienne. C’est aussi le cas pour l’Égypte ancienne. C’est le cas évidemment pour les cultures Maya et Inca en Amérique centrale et latine. Face aux monuments majestueux de sites au Pérou comme Cusco ou en Bolivie comme Puma Punku, les indigènes interrogés par les colons espagnols sur les bâtisseurs de ces monuments, la réponse a été limpide : ces monuments ont toujours été là et c’est une ancienne race de civilisateurs qui en est à l’origine. Ce sont les mêmes réponses en vigueur aux quatre coins du monde : au Japon, en Inde, en Chine, au Sud-est asiatique, en Afrique, en Amérique du Sud, sur tout le territoire européen, en Russie, en Amérique du Nord, en Asie centrale et jusque dans les deux pôles. D’autres habitants de ces régions, dans des temps immémoriaux ont construit, ont enseigné, ont répandu un savoir ancien, secrètement gardé, qui survit dans plus de 400 mythologies régionales et dans toutes les parties du globe, encore aujourd’hui. Lisons tous les mythes fondateurs de centaines de cultures différentes à la fois sur le plan culturel et géographique, nous arrivons à la même conclusion : les mythes sont communs et racontent tous des variations sur les mêmes histoires, avec des différences au niveau des noms et des endroits, ce qui est tout naturel. Le mythe du déluge qui existe dans plus de 480 mythologies en est la parfaite illustration. Ce qui plaide pour une seule et unique Histoire commune qui transcende les âges et qui passe à chaque fois à la postérité par des biais simples : par le conte et par les écritures : pétroglyphes, hiéroglyphes, cunéiforme, monuments cyclopéens, gravures dites rupestres, art pariétal, inscriptions et signes ésotériques, traditions orales transmises par apprentissages et par initiation. Autrement dit, ces hommes et ses femmes qui se sont établis sur les rives des deux fleuves ont été les héritiers d’autres cultures comme celles de Göbekli Tepe, dans le Sud de la Turquie, ce temple dont le nom signifie «La colline du nombril» renvoie à d’autres centres de rayonnement civilisationnelles comme l’île de Pâques dont le nom originel signifie «Le nombril du monde», tout comme Cusco au Pérou qui signifie aussi «Nombril du monde». Ce même centre commun à des cultures aussi variées et aussi éloignées du Japon au Mexique, du Pérou au Cambodge, de L’Égypte à Rapa Nui, raconte la même histoire humaine, à travers des époques lointaines, oubliées, mais dans des langues et des dialectes différents, avec des divinités différentes et des lieux sacrés différents.
Les Anciens Égyptiens parlaient de ce «Temps premier». Ce qu’ils appellent dans leur langue Zep Tepi. Ce premier temps d’Horus, qui raconte la naissance des mondes, avec toutes les mythologies qui y sont rattachées. Un temps où la Terre et le Ciel ne faisaient qu’un, en ce sens qu’ils ont été attachés l’un à l’autre, dans un va-et-vient entre ce qui est en haut et ce qui est en bas.
Un temps où Ciel et Terre figuraient le sens commun de l’humain, sans frontières entre les hauteurs et les profondeurs. Les deux se rejoignent dans l’esprit créateur de celui qui cherche la connaissance. Celle-ci étant toujours secrète. Cela nous amène au Grand Art, l’Alchimie et ses mystères, à Hermès Trismégiste, à la Table d’Émeraude, aux sciences occultes, au savoir hermétique, à toutes ses valeurs qui prônent le silence, le secret, la transmission par l’initiation, car un tel savoir a valeur d’origine, de naissance, de Renaissance. C’est ce livre constamment égaré et oublié qui revient, tout le temps, dans un cycle giratoire de fin et de commencement. Le début étant la fin. La fin étant l’éternel retour de cette connaissance humaine qui semble puiser dans un réservoir immense qui transcende les âges et qui s’inscrit dans une forme d’éternité.
C’est le cas aujourd’hui, avec ce que nous nommons notre «civilisation» technologique. Les écrits du monde regorgent de textes et de descriptions relatant des faits qui peuvent aisément représenter le monde où l’on vit aujourd’hui et celui vers lequel nous nous acheminons. Jetons un œil à des traditions anciennes comme le Mahabharata et le Ramayana. Lisons un texte comme celui du prophète Ezéchiel, nous y découvrons des aspects troublants sur des technologies qui font partie du monde où nous vivons aujourd’hui.
Des milliers de textes de ce genre existent un peu partout dans le monde, avec force détails sur ce que nous appelons notre technologie. Celle-ci n’étant qu’une redécouverte constante, après des siècles d’oubli et par le passage d’une époque à une autre. Les humains qui se succèdent réapprennent ce vieux savoir qui a été perdu suite à une catastrophe naturelle (le Déluge), suite à un cataclysme (impact de météorite), suite à des phénomènes physiques très simples comme les glissements de la croûte terrestre, comme les inversions des pôles, comme des tempêtes solaires gigantesques, faisant succéder des périodes de glaciation et de réchauffement, balayant des civilisations, plongeant d’autres dans les abysses de l’oubli et faisant émerger d’autres, qui vont apprendre, doucement et lentement, ce que d’autres cultures ont vécu et expérimenté. C’est cela le cycle du livre humain de l’oubli. Une succession de grandeur et de chaos, ad infinitum. Cycle après cycle, nous découvrons ce que d’autres ont découvert avant nous. Puis nous perdons ce savoir comme d’autres l’ont perdu avant nous. Puis une nouvelle naissance. Puis une renaissance, avec un point d’ancrage clair : aller vers le passé pour inventer le futur. Réinventer le futur pour éclairer nos passés multiples et infinis.

Par Dr Imane Kendili

Psychiatre et auteure

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