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Ecarts et dédales

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Un enfant qu’on surprotège est un enfant qu’on maltraite. Un enfant ou un adolescent cloîtré dans sa chambre jouant aux jeux vidéo n’est en aucun cas rassurant, bien au contraire, bien que cela puisse calmer nos angoisses de parents de voir son enfant à la maison près de soi.

Par Dr Imane Kendili
Psychiatre-addictologue

La parentalité interpelle. La parentalité angoisse. Etre parent n’a pas de recette. Le conditionnement à la fatalité de la reproduction teintée de monothéisme et bâtie sur le saint sacrifice ne permet pas de capitaliser l’expérience. Encore moins de prévenir le précipice. Quel bonheur que d’avoir un enfant ? Vrai. Mais omission oblige, on ne vous dit pas que ce bout qui va pousser plus vite que de la mauvaise herbe nécessite un travail. Pas un rôle à la carte servi dans les séries télé à la sauce turque pour certains ou américaine pour d’autres. Pas un rôle d’épouvantail ambulant armé d’une trique appelée éducation. Eduquer ! Quel mot très péjoratif ! Un ami écrivain me disait: on éduque par défaut car élever est si difficile. Or, dans le mot élever on retrouve l’«élévation», grandir l’autre que j’ai mis au monde. L’accompagner dans son chemin vers sa grandeur, son élévation. La nuance est notable et le produit humain obtenu est fort différent. Malheureusement, notre parentalité moderne est précaire et notre histoire, fort courte avec la famille nucléaire, fragilise nos nouvelles générations.

En effet, la famille élargie est balayée au profit d’une famille nucléaire moderne, où les seules figures parentales sont les géniteurs (père/mère). L’individualisme, revendiqué au non d’une certaine autonomie, a écarté les figures de soutien à l’éducation, ou élévation si j’ose dire. Ce même individualisme a marqué les esprits parentaux d’une balance réussite/échec faisant de l’enfant un objet d’accomplissement par procuration. Si l’objet ne remplit pas son rôle, la déception peut être terrible. Car le parent roi est l’enfant roi hérité de la génération des années 80. Pourquoi aussi terrible affirmation ? Simple. Années 50-60 génération sacrifice de notre beau pays, vite responsable, vite impliquée, vite engagée, vite adulte puisque traditionnellement et jusque dans le milieu des années 70, plus on avait d’enfants plus on faisait travailler d’enfants et plus on était à l’abri. Pas seulement dans le Maroc rural. Ainsi, une génération a travaillé pour satisfaire le parent dans un élan traditionnel conditionné. Cette même génération, dans un élan de protéger sa progéniture du sacrifice tradi de l’enfant qui pourvoit à la sécurité financière de la famille, a offert sur un plateau d’argent une vie à l’oralité marquante à ses descendants.

Oralité oblige, une génération est arrivée à laquelle tout était dû. Peu de responsabilité. Rare engagement. Des grands-parents qui s’occupent des petits-enfants pour que les parents 80’S puissent respirer, faire la fête, voyager ou mieux encore boire ou se droguer. Des enfants immatures impulsifs et irritables, peu combatifs, et très peu sûrs d’eux-mêmes, dans des corps d’adultes qui les emprisonnent. Et voici qu’on les marie pour les voir pousser. Je dis pousser car grandir est bien difficile. Grandir est un grand mot comme élever. Le modèle d’accomplissement n’existe pas. Le modèle de grandeur passe par la misère de sa propre condition d’homme. Comment s’élever quand on a été servi par ses parents asservis par leurs enfants dès leur plus jeune âge. Quelle ironie que d’entendre une mère éplorée s’écrier non sans fierté «Oh ! Il a refusé de dormir dans sa chambre et a mis son père hors du lit», mieux encore «Il a refusé le biberon et j’ai arrêté de travailler» !
C’est ironique pour ne pas dire pathétique. Les consonances traditionnelles ont été abandonnées, dit-on, mais on en a gardé les désavantages. Les empreintes religieuses et le modèle coping-modeling male/male ou femelle/femelle ont été aussi balayés, mais là aussi on a jeté aux oubliettes les avantages et on s’est bien accroché aux inconvénients.
Mieux encore, le modèle psychosocial adopté et appliqué par une mondialisation conditionnée désirée et refusée dans un même temps est également remodelé à la sauce immature orale, pour être certains de se ressembler dans la médiocrité.
Un ami m’a dit il y a peu de temps qu’il ne tolérait pas la médiocrité. Mais comment pourrait-il continuer à vivre sous les cieux terrestres ? La médiocrité se mérite. La médiocrité a nécessité un travail, un cheminement et son accomplissement permettent ce que l’homme revendique le plus : l’oisiveté, le moindre effort, le plaisir immédiat…
Le modèle parental se perd. Il est important pour nous, parents, de comprendre que nourrir n’est pas communiquer. L’élévation passe par le lien et la parole et non par l’objet et la carotte.
Bien au contraire, le tabou et le non-dit sont bien plus délétères et la rupture de communication érige un vide qui sera comblé différemment par des discours fantasmatiques ou héroïques concernant la sexualité, les valeurs ou encore les drogues.

Un enfant qu’on surprotège est un enfant qu’on maltraite. Un enfant ou un adolescent cloîtré dans sa chambre jouant aux jeux vidéo n’est en aucun cas rassurant, bien au contraire, bien que cela puisse calmer nos angoisses de parents de voir son enfant à la maison près de soi. Nous avons hérité d’un habitus empreint de culpabilité et de sacrifice, culturel bien plus que religieux, faisant de la femme-mère la matrice-sacrifice qui se doit de vivre à travers ses enfants soulignant son anxiété par une hyper-protection marquée surtout pour le garçon : elle le sert tout en le desservant, lui amène son verre d’eau, lui lave amoureusement ses vêtements, lui frotte le dos dans le bain jusqu’à 16 ans ou, pire encore, lui lave ses parties intimes à 10 ans, le protège de son père en cachant ses incartades, offre des cadeaux aux enseignants arborant l’étendard de l’enfant particulier à préserver… Tout ceci inconsciemment en lobotomisant chirurgicalement des aptitudes cognitives matures et en soulignant ainsi la création épigénétique d’un cerveau dépendant.

Ce texte n’est guère un réquisitoire. Il n’y a guère de recette pour être le meilleur parent. Tout parent fait du mieux qu’il peut en fonction de son histoire, de sa personnalité, de ses atouts et de ses propres failles. Mais, la réflexion n’est guère interdite. On peut légitimement se poser les questions suivantes : et si les parents changeaient de comportement ? Et si les enfants étaient vus et traités différemment ? Et si l’échec même était juste considéré comme une simple étape de la vie ? Et si on se concentrait sur l’élévation de nos enfants au lieu de focaliser sur l’éducation avec tout ce qu’elle peut impliquer comme attentes et comme déceptions ? Il n’est en aucun cas question de réussir ou de rater le cheminement d’un enfant, mais de savoir si au cours du temps on a réussi à établir un lien réel, exempt de jugement et d’attentes à l’égard de cet enfant, qui en définitive, est une entité à part, qui se doit de vivre le monde comme une expérience individuelle avec des hauts et des bas. Parfois plus de bas que de hauts, mais un chemin à soi est mille fois meilleur qu’un chemin désigné par un autre.

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