Campings
Le Maroc a atteint un record historique avec 17,4 millions de visiteurs en 2024 et vise les 26 millions d’ici 2030. Dans ce contexte de croissance, l’hôtellerie de plein air (HPA) s’impose comme un segment stratégique à fort potentiel d’investissement. Longtemps marginale dans l’offre touristique nationale, cette filière bénéficie aujourd’hui d’une conjoncture favorable (évolution des comportements de voyage, diversification de la clientèle et nouvelles perspectives de rentabilité).
Dans le contexte de l’hébergement touristique, les termes « camping » et « hôtellerie de plein air » (HPA) sont souvent utilisés de manière interchangeable, mais ils renvoient à des réalités distinctes (Grande, 2021). Le camping désigne historiquement une forme d’hébergement touristique basée sur la mise à disposition d’emplacements nus pour tentes, caravanes ou camping-cars, avec un niveau d’équipement minimal et une expérience proche de la nature (Grande, 2021). L’hôtelière de plein air, quant à elle, correspond à un secteur professionnel structuré, regroupant des établissements classés et réglementés qui, en plus des emplacements nus, proposent une offre variée d’hébergements locatifs (mobil-homes, chalets, tentes lodges, etc.), des équipements de loisirs et de restauration, ainsi que des services de confort de haut niveau (Grande et Camprubi, 2024). La principale divergence réside donc dans la valorisation et la diversification de l’offre. Le camping traditionnel reste axé sur la simplicité et la convivialité, alors que l’hôtellerie de plein air adopte un modèle économique plus proche de celui des hôtels-resorts, en y intégrant un niveau élevé de confort et de services (Grande, Dong, Peypoch, 2024).
Un marché marocain encore en friche mais porteur
Les guides spécialisés pour camping-caristes et vanlifers recensent plus de 250 campings et aires d’accueil répartis sur tout le territoire, avec une forte concentration sur le littoral atlantique (Agadir, Taghazout, Essaouira), les zones désertiques (Merzouga, Agafay) et les régions montagneuses (Chefchaouen, Atlas). Quelques implantations existent également à Dakhla, ville en plein essor touristique.
Le climat ensoleillé, la diversité des paysages et l’accessibilité croissante créent un environnement favorable au développement de produits innovants, peu soumis à la saisonnalité. L’absence de saturation du marché laisse place à des investissements ciblés capables de générer un retour sur capital intéressant, notamment dans les zones à forte fréquentation internationale.
Une demande internationale en croissance rapide
Trois dynamiques tirent ce marché : L’essor du tourisme expérientiel, qui attire une clientèle à la recherche de séjours immersifs, de nature et de culture, avec des prestations différenciées par rapport à l’hôtellerie classique. La croissance du tourisme itinérant puisque chaque hiver, des milliers de camping-caristes européens, principalement français et espagnols, séjournent au Maroc et génèrent une demande en croissance pour les aires de stationnement et campings bien équipés. Le glamping (tentes haut de gamme, écolodges, camps confortables) connaît une progression à deux chiffres, soutenue par la médiatisation internationale de destinations comme Merzouga ou Dakhla. Ce segment se distingue par un panier moyen plus élevé et une marge potentielle supérieure à celle des campings traditionnels.
Un cadre réglementaire modernisé
Depuis 2024, le nouveau cadre légal impose à tous les établissements d’hébergement touristique, y compris les campings, de respecter des critères stricts : Autorisation d’exploitation préalable ; Classement par étoiles ; Contrôles périodiques ; Assurance responsabilité civile ; Respect des normes sanitaires et de sécurité. Pour les investisseurs, ces obligations garantissent une homogénéité de qualité sur le marché et renforcent la confiance des clientèles internationales. En contrepartie, elles exigent une intégration en amont dans le business plan, avec une enveloppe budgétaire dédiée à la conformité réglementaire évolutive.
Des opportunités renforcées par les perspectives 2030
La Coupe du Monde 2030, co-organisée par le maroc, constitue un catalyseur de demande. Elle devrait générer un afflux de visiteurs nécessitant des capacités supplémentaires d’hébergement et stimuler l’investissement dans des solutions flexibles et agiles comme l’hôtellerie de plein air. Le littoral atlantique offre un potentiel de développement pour des structures modernes et populaires en combinant des emplacements nus, et des locatifs conformes aux standards européens. Les régions désertiques et montagneuses sont, quant à elles, propices à des projets haut de gamme alliant hébergement et activités de pleine nature.
Vers un marché du camping populaire et inclusif
Le camping a toujours incarné plus qu’un simple mode d’hébergement : il est un symbole d’accès démocratisé aux vacances. Ce mode d’hébergement s’est imposé comme la solution idéale pour les familles modestes ou en quête de retour à la nature. Peu coûteux, souvent improvisé, il repose sur des installations simples : tentes canadiennes, sanitaires basiques, quelques emplacements ombragés. L’ambiance est conviviale, intergénérationnelle, et les barrières sociales s’effacent autour d’un repas partagé ou d’un jeu collectif. Le camping est le pilier des vacances populaires dans de nombreux pays du globe (Pays-Bas, UK, Allemagne, Croatie, France, Espagne). Les tarifs, très modérés, permettent à des millions de familles de partir chaque été, souvent à proximité de chez elles.
Le tourisme interne au Maroc constitue un enjeu social et économique de premier ordre, notamment en ce qui concerne l’accès des enfants et des familles modestes aux vacances. Les données de l’Observatoire du tourisme montrent que 24 % des voyageurs internes ont moins de 15 ans, et que 55 % des séjours sont réalisés par des ménages comprenant des enfants, qu’il s’agisse de couples avec enfant(s) ou de groupes élargis appelés « tribus ». La présence des enfants dans les départs en vacances est donc structurelle, et leur proportion souligne l’importance d’une offre adaptée. Pourtant, une large majorité de ces séjours se déroule dans un cadre non marchand : près de 63 % des familles marocaines privilégient le logement chez des proches ou dans une résidence secondaire, tandis que seuls 37 % choisissent des hébergements marchands. Parmi ces derniers, environ 18 % passent par des locations meublées et 17 % par l’hôtellerie, les autres formes (campings, auberges, maisons d’hôtes) représentant à peine 2 %. Cette sous-représentation des formules accessibles comme le camping révèle un potentiel important pour démocratiser ce type d’hébergement, à condition de l’adapter aux spécificités locales.
Les ingrédients d’une réussite d’une hôtellerie de plein air « à la marocaine » reposent sur une stratégie articulée autour de six axes. Le premier concerne l’accessibilité tarifaire. Les données disponibles montrent que les vacances constituent un effort financier considérable pour les ménages, ce qui explique le recours massif aux solutions non marchandes. Les acteurs doivent instaurer une grille de prix adaptée au revenu moyen marocain, avec un objectif clair de permettre aux familles modestes de séjourner au camping pour un budget journalier limité. Cette action serait une manière directe de répondre à ce frein majeur de démocratisation des vacances par les hébergeurs touristiques du Maroc.
Le deuxième ingrédient réside dans l’implantation territoriale. Les destinations les plus fréquentées par les familles sont Marrakech, Tanger, Agadir, El Jadida, Casablanca, Rabat et Fès. Développer des campings proches de ces zones urbaines et touristiques réduirait mécaniquement les coûts de transport, un poste de dépense non négligeable dans le budget vacances des familles. Idéalement, ces sites devraient être situés à proximité des grands axes routiers, mais aussi accessibles en transport collectif (bus, train) lorsque cela est possible.
Le troisième pilier repose sur des infrastructures simples mais bien tenues. Le confort de base, comprenant des sanitaires propres, des points d’eau accessibles, une cuisine partagée et des espaces de jeux pour enfants, constitue le facteur clé minimum pour le développement d’une première infrastructure. Dans un contexte où beaucoup de familles marocaines découvriraient le camping comme expérience marchande, garantir ce socle de qualité est une condition essentielle pour les attirer.
À ce dispositif s’ajoute un quatrième élément : les programmes publics ou partenariats. Le Maroc dispose déjà d’initiatives pour favoriser l’accès aux vacances, mais celles-ci peuvent être étendues au camping, par exemple via des subventions partielles pour les enfants, des colonies de vacances sous tente ou encore des bons vacances utilisables dans ces établissements. À l’image des politiques européennes d’aide au départ, ce type de mécanisme favoriserait une démocratisation réelle.
Le cinquième ingrédient concerne l’attractivité du camping via ses prestations d’animation sociale et culturelle, puis ses infrastructures récréatives. La recherche académique a démontré que les campings qui réussissent à créer un sentiment de communauté sont ceux qui proposent des activités sportives, culturelles et festives adaptées à tous les âges. Ainsi, ces animations constitueraient un levier pour transformer le camping nature en un espace de sociabilité, apprécié aussi bien par les enfants que par leurs parents.
Enfin, la valorisation du patrimoine naturel et culturel représente le sixième axe. Le camping peut devenir une porte d’entrée vers la découverte du Maroc rural, de ses plages, de ses montagnes et de ses déserts. Les campings doivent créer un produit touristique orienté vers l’intégration des locaux et de leurs savoirs. Les campings peuvent contribuer au soutien de l’économie locale à condition qu’une planification soit mise en place par les opérateurs. Cet objectif devra être intégré comme point de vigilance par le Royaume lorsqu’il soutiendra les initiatives publiques ou privées. Il constitue une forme de garantie de l’action locale sur l’expérience éducative et immersive des touristes.
Vers une politique nationale de création de campings municipaux ?
Pour accélérer la dynamique d’accès aux vacances pour les familles, le Royaume du Maroc peut s’armer d’une politique nationale de création de campings municipaux. Les données de l’Observatoire du tourisme montrent en effet que plus de la moitié des séjours effectués par des résidents marocains impliquent des enfants et que 63 % des familles privilégient aujourd’hui l’hébergement non marchand, principalement chez des proches ou dans une résidence secondaire, faute d’offres marchandes abordables. Dans ce contexte, un réseau de campings accessibles, répartis sur tout le territoire et soutenu par les pouvoirs publics, deviendrait une réponse adaptée à la demande latente.
Ces structures, gérées directement par les communes ou confiées en délégation de service public à des opérateurs privés, peuvent offrir des tarifs encadrés et accessibles à toutes les familles. Elles permettent de cibler aussi bien les classes moyennes que les ménages modestes. Leur implantation s’établira dans une logique d’équilibre territorial, avec un accent particulier sur les zones aujourd’hui dépourvues d’offre touristique abordable, qu’il s’agisse des périphéries urbaines, des régions intérieures ou encore des zones rurales proches des sites naturels.
Le Royaume du Maroc devra s’assurer d’uniformiser des standards minimaux de qualité et de sécurité à l’échelle nationale afin de garantir la crédibilité du dispositif, mais aussi de rassurer les familles, notamment celles qui découvriront pour la première fois le camping comme hébergement marchand.
Une telle stratégie doit être soutenue par un plan national articulé en plusieurs étapes. La première consistera à recenser les terrains communaux ou propriétés de l’État susceptibles d’accueillir une offre d’hébergement touristique de type camping. Cette étape permettra d’établir une cartographie des opportunités régionales. La deuxième relève d’un financement mixte, qui pourrait combiner des subventions publiques et des partenariats privés pour l’aménagement et la gestion. Ce point permettra de limiter la charge budgétaire pour les collectivités tout en stimulant l’investissement et l’économie locale. La troisième étape impliquerait l’élaboration d’une charte nationale définissant à la fois un référentiel de qualité et un encadrement tarifaire, de manière à maintenir des prix bas sans compromettre la satisfaction des campeurs. Enfin, la quatrième étape reposerait sur une promotion ciblée, à travers des campagnes nationales incitant les familles marocaines à découvrir ou redécouvrir cette formule de pleine nature inclusive.
En conclusion, les campings représentent moins de 2 % des séjours marchands au Maroc. Il existe une véritable opportunité pour le tourisme interne marocain. Il est possible de créer une offre populaire, structurée et durable à partir de terrains nus à bâtir. Le développement de réseaux de campings municipaux et/ou privés devrait ensuite être facilité par le Royaume afin de développer la compétitivité de ces zones touristiques, d’établir une montée en gamme, et de poursuivre ce plan de démocratisation des vacances qualitatives, levier de cohésion sociale et moteur de développement économique pour les territoires.
Dr. Kévin GRANDE, Professeur Associé, Pôle Tourisme et Hôtellerie, Excelia Hotel & Tourism School














