Pour le Maroc, tant que Paris craint de heurter les Algériens par une position claire sur le Sahara, la diplomatie française est condamnée à continuer à naviguer dans des eaux troubles et à produire des messages sinon contradictoires du moins hésitants.
Les retrouvailles entre la France d’Emmanuel Macron et le Maroc sont spectaculaires à voir. Outre l’annonce d’une précieuse validation des autorités françaises d’importants investissements dans des projets structurants dans le Sahara marocain, une multitude de ministres français se presse au Maroc comme pour magnifier cette remise en marche de la dynamique de l’axe Paris-Rabat, longtemps en état de congélation pour cause de divergences politiques.
Pour les milieux initiés, politiques et économiques des deux rives, la validation du ministère des affaires étrangères d’un programme d’investissements d’opérateurs français au Sahara est une indéniable preuve que Paris reconnaît la souveraineté du Maroc sur ces provinces, autrement la France n’aurait pas pu laisser ces capitaux errer dans le désert sans cadre politique précis. La décision française dans ce domaine est tellement audacieuse qu’elle dépasse en termes de qualité de message la posture d’autres pays européens qui ont déjà fait de l’option de l’autonomie l’unique solution à cette discorde.
Des ministres français et non des moindres se succèdent sur Rabat, saisis par une boulimie diplomatique, chacun dans son domaine, pour montrer le côté exceptionnel de la relation entre les deux pays. De l’économie avec Bruno Le Maire, en passant par le commerce extérieur avec Franck Riester, et les questions sécuritaires avec la visite très attendue du ministre Gérald Darmanin le 20 avril jusqu’aux affaires culturelles incarnées par la visite de la très iconique Rachida Dati, l’agenda diplomatique entre les deux pays reprend une vigueur inédite.
Avec ces évolutions majeures, ceux qui regardent le verre à moitié plein se réjouiront de voir Paris prendre des décisions aussi lourdes pour signifier l’importance de sa relation stratégique avec le Maroc. D’autant plus que ces décisions surviennent après une ère de glaciation de leurs rapports qui annonçait plus une atmosphère de rupture qu’un rapprochement imminent. Pour cette tendance optimiste, Paris a donné d’incontestables gages d’amitié et de solidarité avec le Maroc qui, en principe, ne laissent place à aucun doute quant à son positionnement réel et final à l’égard d’une question jugée vitale pour le présent et l’avenir du Maroc.
Mais ceux qui s’entêtent à voir le verre à moitié vide s’interrogent à haute voix et parfois avec une certaine pertinence : Si la France d’Emmanuel Macron était si convaincue de la souveraineté du Maroc sur le Sahara, comme le montre la validation du programme d’investissements français dans ces provinces, qu’est-ce qui empêche et le Palais de l’Elysée et le Quai d’Orsay d’avoir une expression de reconnaissance claire et limpide sur la marocanité du Sahara comme l’ont déjà adoptée des pays comme les États-Unies d’Amérique et d’autres grands pays arabe et africains ?
Cette absence d’expression diplomatique directe et limpide de la part de la diplomatie française sur le Sahara donne libre court à toutes les manipulations et autres instrumentations. À commencer par le pays parrain de l’aventure séparatiste du Polisario dont la propagande crie sur les toits que contrairement à tout ce qui est exprimé par certains milieux français, la France officielle ne reconnaît toujours pas la souveraineté du Maroc sur son Sahara. Et personne, aussi bien à Rabat qu’à Paris, ne pourra soutenir le contraire.
S’interroger sur les raisons de cette abstention française équivaut à éclairer les contraintes internes à la diplomatie française et à sa relation particulière et spécifique avec le régime algérien. Pour le Maroc, tant que Paris craint de heurter les Algériens par une position claire sur le Sahara, la diplomatie française est condamnée à continuer à naviguer dans des eaux troubles et à produire des messages sinon contradictoires du moins hésitants.
Le scénario idéal pour envisager un grand tournant dans la relation franco-marocaine est celui d’imaginer aujourd’hui de grandes tractations entre Paris et Rabat pour préparer la très attendue visite d’Etat d’Emmanuel Macron au Maroc et que parmi les grandes annonces qui doivent couronner ce déplacement serait celui que prononcera le président français sur une reconnaissance franche, directe, totale de la souveraineté du Maroc sur son Sahara.
Cet instant politique est très attendu par les Marocains car ils savent que la position de Paris va déteindre sur l’ensemble de l’architecture du pouvoir européen dont certaines institutions laissent encore des forces hostiles au Maroc jouer avec la qualité du partenariat entre le Royaume et l’Union européenne comme le résume le débat juridique sur l’accord de pêche qui lie les deux partenaires, actuellement menacé de paralysie par des manœuvres dilatoires.