Chroniques

Frères musulmans contre Islam de France ?

Mustapha Tossa Journaliste éditorialiste

Le ciblage de la mouvance des Frères musulmans en France est intervenu à un moment où de nombreux pays arabes ont procédé à sa criminalisation comme une structure subversive, dangereuse pour les sociétés et le bien-être collectif.

C’est sans doute la grande sensation politique de la saison. La publication d’un rapport gouvernemental sur l’entrisme de la mouvance Frères musulmans dans la société française. Dans la séquence actuelle, cela équivaut à jeter un bidon d’essence sur des braises ardentes. Le contexte était déjà travaillé par des démarches extrêmement alarmistes produites par des médias dont le fonds de commerce est de faire la promotion de l’extrême droite dans la perspective des présidentielles de 2027.
Le rapport avec ses constats et ses recommandations valide dans l’absolu cette hypothèse vaguement ressentie d’une cinquième colonne qui travaille en silence pour imposer aux politiques un certain mode de vie. Leurs terrains d’influence, les mosquées, l’école, les structures associatives, certains services publics de l’Etat, avec ce mot d’ordre : Si rien n’est fait pour lutter contre cette gigantesque pieuvre qui agit à bas bruit, le modèle républicain, tel qu’il est maintenant qui garantir un vivre -ensemble dans le cadre d’une laïcité respectueuse des cultes, se retrouvera en grand danger.
La tonalité est si alarmiste que le rapport impose à l’Etat de grandes décisions. En attendant, ce rapport est l’objet d’une grande exploitation politique. D’abord de la part de l’actuel ministre de l’intérieur Bruno Retailleau dont la publication du rapport sur les Frères musulmans était concomitante avec sa victoire triomphale à la tête du parti Les républicains. Même si ce rapport avait été initié par son prédécesseur Gérald Darmanin, alors patron de la place Beauvau, c’est lui Bruno Retailleau qui en tire tous les bénéfices politiques et de communication. Ce rapport permet à l’actuel ministre de l’intérieur des coups de menton et l’affichage d’une virilité politique qui lui seront nécessaires dans sa tentation de sculpter une candidature pour la prochaine présidentielle.
L’autre exploitation politicienne est venue directement des rangs de l’extrême droite. Ses icônes ont envahi les antennes livrant des analyses censées affirmer une validation de leurs cris d’alarme poussés dans une période où ils étaient diabolisés collectivement. Aujourd’hui ils crient à l’injustice et louent un rapport qui leur donne raison. Ils profitent de l’occasion pour enclencher une critique acerbe à l’encontre de l’actuel pouvoir, notamment cette espérance à droite incarnée aujourd’hui par Bruno Retailleau dont ils soulignent le manque de volonté politique et l’incapacité à agir sur le réel. Comme dans un effet miroir où trônent des ombres chinoises, ce rapport souligne aussi de manière indirecte une forme de responsabilité de l’Etat et des gouvernements précédents. Notamment ceux qui avaient pris des décisions stratégiques qui ont facilité l’infiltration des courants de l’islam politique. Avec certains pays musulmans, à un moment donné, ces gouvernements ont volontairement fermé les yeux sur un activisme religieux en échange de contrats juteux dans l’armement, le luxe, le BTP ou la construction d’infrastructures extrêmement rentables pour l’économie française.
L’autre effet miroir est à trouver dans la place qu’occupent ces mosquées sous influence des Frères musulmans. Cette situation souligne aussi l’incapacité des autorités françaises à trouver des solutions efficaces et pratiques pour procurer des lieux de cultes dignes sous contrôle d’une parole religieuse modérée, compatible avec les valeurs de la République. La seule thérapie sécuritaire s’est avérée impuissante à juguler l’influence des Frères musulmans. Un des défis majeurs qui attend le gouvernement est de trouver des solutions pratiques du culte musulman sans tomber ni dans l’interdiction excessive ni dans l’ignorance coupable.
Le ciblage de la mouvance des Frères musulmans en France est intervenu à un moment où de nombreux pays arabes ont procédé à sa criminalisation comme une structure subversive, dangereuse pour les sociétés et le bien-être collectif. Cette situation a poussé de nombreuses voix à exiger un fait inédit en France, celui de mettre les Frères musulmans sur la liste des organisations terroristes. Certes, cette proposition embrasse une logique de surenchère politique concurrentielle, mais elle trahit aussi une forme de détermination à lutter par tous les moyens contre les effets sournois de l’influence des Frères musulmans.
Avec ce rapport, les autorités françaises sont subitement passées d’une phase de lutte contre les discours religieux radicalisés qui préparent les esprits à des actions violentes à une phase de lutte contre l’entrisme de l’islam politique qui aggrave les aires de séparatisme, tout cela sur fond de chantage politique et électoral pratiqué par des groupes qui exploitent le levier religieux pour s’installer durablement et efficacement dans la géographie politique du pays.

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