Chroniques

Guerre Iran-Israël : Disséquer la blague pour ausculter le trauma

Dr Imane Kendili | Psychiatre et auteure.

Ils rient. Sous les sirènes, dans les abris, à travers les pixels.

 

Sur X, Instagram ou Telegram, les vidéos se succèdent : une grand-mère qui fait une « Iron Dome dance » pendant que les missiles pleuvent; un jeune qui poste son « fit de guerre» en direct d’un bunker ; une blague visuelle où le Moyen-Orient est réduit à deux points : Israël, minuscule, et l’Iran, gigantesque, avec ce commentaire : « Match du siècle. Score : Iron Dome 50 – Missiles 0 ».
Cela pourrait prêter à sourire. Mais pour un œil de psychiatre, ces contenus sont autant de symptômes que de vannes. L’humour, dans les contextes de violence extrême, est rarement innocent. C’est un acte de survie. Un mécanisme de défense. Une tentative maladroite mais humaine de reprendre le contrôle.

La guerre qui a éclaté entre l’Iran et Israël n’est pas seulement militaire. Elle est cognitive, sensorielle, émotionnelle. Elle infiltre les nerfs autant que les réseaux. Et elle laisse des traces. Chez les civils des deux camps, bien sûr, mais aussi dans la psyché collective globale, interconnectée et surexposée. Car aujourd’hui, le champ de bataille, c’est aussi notre fil d’actualité.
Blaguer, c’est transformer la terreur en anecdote. C’est appuyer sur pause dans l’horreur. C’est dire : « je vois ce qui se passe, mais je ne veux pas être englouti ». Une réponse très humaine. Sauf que parfois, à force de rire, on finit par ne plus entendre les cris. L’humour noir devient alors un anesthésiant puissant. Il masque la douleur des autres et banalise l’impensable.

Chez les plus jeunes, le phénomène est encore plus marqué. Leur langue est celle des memes, des montages absurdes, de l’ironie glacée. Ils s’approprient la guerre comme une matière à contenu, une esthétique, un récit parallèle. Et ce faisant, ils développent des formes nouvelles de dissociation : tout est grave, mais rien n’est sérieux. Tout est réel, mais rien ne doit l’être trop longtemps.
En cabinet, on le constate : l’hyperconnexion aux conflits lointains crée une anxiété diffuse. Une forme de PTSD secondaire. Des patients qui ne dorment plus après avoir vu passer une vidéo de bombardement. D’autres qui rient nerveusement en racontant leurs cauchemars. Et tous ceux qui disent : « Je ne sais plus quoi ressentir ».

L’humour peut soigner. Il peut unir, alléger, exorciser. Mais il peut aussi désensibiliser, isoler, abîmer. Tout dépend du contexte, de l’intention, du moment. Rire n’est pas un problème. C’est un signal. Et comme tout signal, il mérite d’être entendu.
Alors quand une guerre éclate et que les réseaux s’en emparent, regardons les blagues comme des électrocardiogrammes émotionnels. Elles nous disent où ça craque, où ça tient encore. Elles ne remplacent pas l’analyse, mais elles la précèdent. Et parfois, elles la provoquent.
Parce qu’à la fin, ce ne sont pas les missiles qui nous tueront tous. Ce sera peut-être l’incapacité à ressentir, à pleurer, à dire : « j’ai peur ». À défaut, on rit. Mais que reste-t-il, quand le rire devient la seule réponse possible à l’insupportable ?

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