Chroniques

Immigration, les gagnants et les perdants de la censure

Mustapha Tossa Journaliste éditorialiste

En censurant les articles d’inspiration d’extrême droite, le Conseil constitutionnel a secoué la scène politique française d’une manière qui laissera beaucoup de traces.

Avec le recul, sur la loi de l’immigration et de ses pérégrinations politiques entre le Parlement, le Sénat et le Conseil constitutionnel, Emmanuel Macron aura joué un jeu à la fois subtile et machiavélique. D’une pierre il a frappé plusieurs oiseaux. Quand le Conseil constitutionnel est venu remettre l’église au centre du village en censurant les articles les plus polémiques de cette loi, le président français avait réalisé plusieurs objectifs politiques.

Le cynisme présidentiel s’est manifesté à travers un point essentiel. Sachant pertinemment que certains articles contredisaient ouvertement l’esprit de la Constitution, il avait laissé faire en cédant à la pression de la droite et de l’extrême droite. Il exporte à travers cette posture l’idée qu’il est en harmonie avec le climat général français qui demande une politique de fermeté sur l’immigration. Il ne laisse pas à la droite et son extrême le monopole d’exigence de mesures fortes, voire spectaculaires pour lutter contre l’immigration irrégulière. Il montre là aussi un esprit d’ouverture parlementaire et de capacité de négociations avec l’opposition. Résultat : la loi est votée sans passer par le fameux 49.3. La droite républicaine d’Eric Ciotti et de Bruno Retailleau affiche sa renaissance. Celle de l’extrême droite incarnée par Marine Le Pen et Jordane Bardella crie sa victoire idéologique.

Dans la réalité, Emmanuel Macron qui savait que les raisons de la victoire de l’extrême droite heurtaient la Constitution dont le Conseil constitutionnel, gardien de son esprit, allait censurer les articles les plus polémiques. Il laisse faire cela avec le secret espoir que ce conseil se charge d’arrondir cette loi et l’expurger de ce qui est moralement et politiquement inacceptable.
En laissant dérouler cette dramaturgie autour de la loi sur l’immigration, Emmanuel Macron avait réalisé certains objectifs, comme la précipitation du départ d’Elisabeth Borne pour préparer les conditions objectives de l’arrivée de Gabriel Attal. Dommage collatéral de cette démarche, le ministre de l’intérieur Gérald Darmanin dont les ambitions politiques étaient d’abord de prendre le poste de Premier ministre avant de se positionner pour celui de président de la République pour le scrutin de 2027.

Aujourd’hui Darmanin est complètement démagnétisé et son plafond politique actuel se limite à conserver son maroquin dans l’actuel casting gouvernemental.
En censurant les articles d’inspiration d’extrême droite, le Conseil constitutionnel a secoué la scène politique française d’une manière qui laissera beaucoup de traces. La droite républicaine et l’extrême droite ont eu leurs réactions pavloviennes. La première a immédiatement exigé une réforme de la Constitution et la seconde a relancé sa proposition d’organiser un référendum. Ni l’une ni l’autre n’ont eu l’écho espéré au niveau de l’opinion. Elles sont restées au niveau d’argument électoral et médiatique pour servir de carburant à la prochaine campagne des élections d’européennes prévues en juin prochain.

Emmanuel Macron a joué malin. Il a vendu à son opinion l’idée que sa gouvernance était prête à prendre les mesures les plus fortes pour lutter contre l’immigration clandestine dont tous les sondages montrent qu’elle est source d’angoisse pour une majorité de Français. En même temps il a sollicité le Conseil constitutionnel pour éliminer ce que les juristes appellent « les cavaliers législatifs » qui les radicalisent au point de violer l’esprit de la Constitution. Il a caressé l’opinion dans le sens du poil avant de charger la plus haute juridiction de la République de limer les excès.

Parmi aussi les dommages collatéraux, celui qui frappe de plein fouet la galaxie de la gauche. La démarche de Macron tentant de séduire l’électorat de l’extrême droite les a profondément choqués. L’aile gauche de la majorité présidentielle sentait monter des aigreurs qui annoncent des ruptures.
La censure du Conseil constitutionnel semble avoir donné une nouvelle dynamique au discours de la gauche sur cette problématique.
La défense de la tolérance, de l’ouverture, de l’égalité de droits sont redevenues de valeurs capables de mobiliser un électorat désespéré de vivre une succession d’échecs politiques et de reculs idéologiques.

Finalement , un lot de consolation pour le gouvernement. Le ministre de l’intérieur en était réduit à se féliciter que le Conseil constitutionnel ait finalement validé la version de la loi telle qu’elle a été présentée dans sa version initiale par le gouvernement et qui était composée de deux blocs.
Le premier est la fermeté dans les opérations d’expulsion des clandestins. Le second est la régularisation des immigrés sans papiers travaillant dans ce qu’on appelle les métiers sous tension.

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