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Indécence et vérité

© D.R

«Deux ou trois médecins s’exclamèrent. Les autres semblaient hésiter. Quant au préfet, il sursauta et se retourna machinalement vers la porte, comme pour vérifier qu’elle avait bien empêché cette énormité de se répandre dans les couloirs. Richard déclara qu’à son avis, il ne fallait pas céder à l’affolement : il s’agissait d’une fièvre à complications inguinales, c’était tout ce qu’on pouvait dire, les hypothèses, en science comme dans la vie, étant toujours dangereuses. Le vieux Castel, qui mâchonnait tranquillement sa moustache jaunie, leva des yeux clairs sur Rieux. Puis il tourna un regard bienveillant vers l’assistance et fit remarquer qu’il savait très bien que c’était la peste, mais que, bien entendu, le reconnaître officiellement obligerait à prendre des mesures impitoyables. Il savait que c’était, au fond, ce qui faisait reculer ses confrères et, partant, il voulait bien admettre pour leur tranquillité que ce ne fût pas la peste».

Extrait de La Peste Albert Camus

Par Dr Imane Kendili
Psychiatre-addictologue

Nous sommes en plein dedans. Jusqu’au cou. Une deuxième vague, clament certains ! C’est d’un drôle à faire sourire nos macchabées qui s’accumulent devant des tableaux statistiques quotidiens.
Casablanca étouffe, la respiration est courte, saccadée. Le Maroc est en polypnée mais Casablanca est dyspnéique. Les queues devant les centres de radiologie laminent d’angoisse la population, sans oublier que les scanners coûtent cher messieurs, dames. Les bilans sanguins aussi. Prendre la Covid au détour et gagner du temps coûte beaucoup d’argent. Les PCR sont à 700 dirhams. Les scanners à 1.800. Qui dit mieux ? La Covid a un prix. La vie à tout prix !
Nous ne vivons pas une deuxième vague. Nous vivons une première vague. Le confinement a permis de contenir la propagation de manière avant-gardiste et réussie mais aujourd’hui nous y sommes. Quelques cas par jour et 1 ou 2 morts ont créé un élan de solidarité communautaire.

Une vraie déferlante qui arrive. L’acceptation est pourtant loin d’être au rendez-vous. Le déni est à son apogée et la Covid creuse sa fosse à purin mortelle. Les élucubrations fusent et la population en tumulte continue à s’approvisionner en masques strassés et s’adapte compliamment non pas aux circonstances dévastatrices de la Covid. Non !! On s’adapte à nos humeurs d’arlequins en tissant une nouvelle toile masquée ou hydro-alcoolisée pour continuer à user l’âme de l’humanité qui agonise.
Quand ce sont de jeunes adultes inconscients ou nos aînés incompréhensifs quant à la situation qui souffrent de déni et de clivage en se perdant dans des comportements infantiles puérils, nous pouvons encore parler de sensibilisation, d’éducation et se montrer cléments.
Le sang des Casablancais et leur chair se putréfient dans l’attente du vaccin salvateur. Heureusement le vaccin arrive.

Casablanca se décompose en lambeaux de chair dans des hôpitaux qui sont fuis pour les cliniques. De grands médecins se battent avec professionnalisme, dévouement et abnégation contre la Covid. Le serment d’Hippocrate est tenu et le conseil de l’ordre régional fait des nuits blanches. Responsable.
Les vrais soldats sont réanimateurs, internistes dignes de ce nom, pneumologues et généralistes ou urgentistes en corps à corps avec la Covid. Ils ne sont pas sur les plateaux de télévision à se vendre en médecins caméléons mercantiles de toute spécialité et d’aucune. Surfer sur la vague Covid n’est pas l’apanage de tous. Une âme malveillante salit la réputation d’un corps médical qui fait son maximum au public et au privé.
Oui, même au privé. De grands moyens sont déployés et de grands soldats y travaillent avec cœur. Les grands groupes dignes de ce nom et référencés sont bien plus efficaces que beaucoup de référents étrangers. Le Maroc est bon. Son corps médical est bon et réellement dévoué. Nous ne nous abreuvons pas tous de sucre doux des gâteaux, de suc noir de ferritine des Casablancais !

On dit en traduction littérale «qu’un poisson pourri salit toute la pêche». Nous y sommes. Malheureusement, les leaders de la Covid travaillent d’arrache-pied et n’ont pas le temps de communiquer sauf avec les familles et leurs patients qu’ils assistent et accompagnent 24h/24.
C’est vrai que la santé a un coût, comme partout dans le monde. Le Maroc reste un modèle mondial de gestion en termes d’anticipation. Casablanca est dépassée. La question à se poser est pourquoi ? Comment ? Qui ?
Je vous rappelle qu’un bilan sanguin complet a un coût de plus de 2.000 dirhams et que s’il est perturbé il faut en faire en série et surveiller pour ne pas crever !
La TDM thoracique salutaire, si elle est faite et refaite à temps, chiffre aussi !
Les Casablancais veulent garder les leurs !
Heureusement le vaccin arrive ! Heureusement que nous serons sauvés par ce vaccin qui promet une immunité collective ! Mais pas trop vite ! L’immunité collective mettra du temps et prend des mois et pour aider notre campagne nationale avant-gardiste nous devons être disciplinés, nous protéger et respecter les mesures barrières.
Je suis sidérée de voir que les médecins sont des fois si tristement et indignement représentés.
La réalité de terrain est autre. De grands médecins se battent tous les jours contre la Covid, nous avons perdu des icônes qui ont enseigné des générations dans le silence. Les vrais combattants ne sont pas sur les plateaux de télévision. Ce sont nos collègues médecins urgentistes, réanimateurs, pneumologues, internistes dignes de ce nom, etc. car la Covid essouffle.

Sans oublier les vrais soldats au front !
Les infirmiers et infirmières au chevet des malades en contact avec une charge virale montante et dignes dévoués, sans sucre !
Le front ce sont nos élus et nos représentants du conseil de l’ordre droits et présents et vrais qui appellent, soutiennent les médecins et leurs familles car beaucoup de médecins et infirmiers tombent malades.

La peste n’est plus à craindre depuis longtemps mais elle revient réincarnée, la faucheuse à ses côtés. La Covid. C’est l’hypoxie joyeuse.

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