La « Lettre de Marrakech » commence l’année 2004 et elle espère à chacun des lecteurs, une bonne et heureuse année pleine de santé, de bonheur et de succès. Cette année commence dans un Marrakech rayonnant, une ville joyeuse et gaie, le centre des festivités du Maroc, nous espérons qu’elle continuera à attirer le maximum d’investisseurs, de penseurs, de touristes. Ai-je besoin de redire que chaque passant se sent tellement bien qu’il souhaite rester ici. Nous commencerons l’année avec une personnalité belge très intéressante et plus que sympathique, il s’agit de monsieur Jean-Pierre Van Tieghem, un fin connaisseur de notre pays, de sa culture et de son art. Il réunit plusieurs titres et quand je lui ai demandé de m’indiquer les plus importants, il répond : « Je suis tout simplement un homme, qui aujourd’hui vit dans un éden, le Maroc ». Néanmoins, J. Pierre est actuellement professeur à l’Ecole nationale supérieure des arts visuels à Bruxelles, producteur en chef à la radio-télévision belge, président d’honneur de l’Association belge des critiques d’art et bien entendu sillonnant le monde pour donner des conférences et pour faire des expertises dans le domaine artistique. Actuellement, J. Pierre est à Marrakech, chez son ami intime, Mohamed Melihi que je n’ai pas besoin de présenter aux lecteurs, car grand peintre marocain et duquel J. Pierre dit : « Il s’est créé avec Melihi une amitié extraordinaire, c’est l’homme qui m’a fait découvrir le Maroc en profondeur, qui m’a fait connaître la façon d’être de ses habitants. Nous sommes devenus « frères». C’est un cadeau indescriptible. » J. Pierre est né à Anvers le 5 juillet 1938 dans cette ville portuaire du Nord de la Belgique dans une famille francophone. Il fait ses études primaires et secondaires en flamand pour ensuite aller pendant dix ans faire ses études universitaires à Bruxelles, Paris, Londres et Milan. Dans son parcours, il va constater l’existence d’une crise dans la pensée théorique (rencontre avec J. Paul Sartre) et se dirige vers les arts plastiques, véritable laboratoire des nouveaux langages, avec l’art conceptuel et l’art minimaliste. En 1967, il est membre du comité organisateur du Festival international du film expérimental. C’est l’occasion pour J. Pierre de découvrir de nouvelle formes d’expression, y compris dans la littérature occidentale ou américaine (Burroughs, Kerovac, Ginsberg…) Notre homme va voyager beaucoup surtout dans le Sud-Est asiatique (Indonésie, Thaïlande…) et en Amérique centrale (Haïti, Surinam…). Son souci et son but c’était d’enregistrer des musiques traditionnelles en voie de disparition. C’est à ce moment que J. Pierre se rend compte : « de l’existence d’autres civilisations aussi importantes que la science ». Après ces nombreux peuples, J.P devient critique d’art dans le sens large du terme. Très vite, ses pairs vont le nommer président de l’Association belge des critiques d’art et membre du bureau de l’Association internationale des critiques d’art. Ce faisant, il est contacté par la radio-télévision belge où il devient réalisateur d’émissions culturelles. Comme ce tout cela ne lui suffisait pas, il prend aussi un poste de professeur à l’Ecole normale supérieure des arts visuels. Entre deux choses, ce sont les voyages qui vont se faire à New York pour des conférences et des séminaires en tant que visiting-professor à Columbia University et New York. University. On peut d’ailleurs découvrir beaucoup de textes, de préfaces dans nombreuses revues européennes et américaines écrites par J. P. Il a aussi organisé des expositions en tant qu’administrateur au Palais des beaux-arts de Bruxelles en tant qu’indépendant (espaces romanesques à Bruxelles et à Marseille). Quel fabuleux parcours que celui de notre ami J. Pierre Van Tieghem. Alors aujourd’hui, on le retrouve au Maroc qui l’intéresse et je lui demande comment il a découvert notre pays ? « Tu sais Aziz, je l’ai découvert il y a dix ans, grâce à un ami belge qui m’a prêté sa maison à Assilah. Le soir où je suis arrivé, c’était par hasard, l’ouverture de la galerie Aplanos avec une exposition extraordinaire de Khalil El Gherib. Ce soir là, J.P. rencontre d’autres artistes qu’il avait vus en Europe dont Farid Belkahia, Bellamine, Binbine, Mimouni, Hakim, Mouad, Hassani…. et des écrivains dont le tout regretté Mohamed Choukri, Edmond El Maleh, M. Serghini, Rajae Benchamsi etc… et bien sûr Mohamed Mélihi, peintre. Avec toutes ces personnalités artistes, se sont développées des relations en profondeur, des relations actives et professionnelles. J. Pierre reconnaît à Mohamed Mélihi de l’avoir introduit dans le Moussem d’Assilah à l’occasion d’un colloque international sur l’art contemporain. Il dit : « J’ai beaucoup travaillé avec les artistes, ce qui souvent a abouti à des textes pour des catalogues ». En janvier 2004, J. P va organiser la 1ère exposition de « Youcha », une artiste Zalachi, à la galerie Art en Marge à Bruxelles. C’est vrai, J. Pierre m’avoue que pleins de projets sont en cours, aussi bien chez nous que dans le cadre des échanges avec la Belgique grâce à la culture qui renforce les liens entre les deux pays. Que pensez-vous de notre culture et du Maroc en général cher J. Pierre ? Vois-tu Aziz, la rencontre avec le Maroc et sa culture est un enrichissement permanent, tant au plan culturel qu’humain. C’est une plongée ethnographique et chaleureuse dans la façon d’être, depuis le petit épicier jusqu’au ministre des Affaires étrangères ». (no comment). Ici chez vous, les nuances dans les relations humaines ont nulle et mille facettes : gentillesse et générosité dans les moindres gestes. Au Maroc, il m’avoue être étonné par les avancées de la culture qui fait des bonds gigantesques : les terroirs s’ouvrent à d’autres champs d’investigation dans des nouvelles recherches du langage (par exemple exposition « Sculpture plurielle à Casa). Ces écritures, visuelles et textuelles, recherchent une identité qui est celle de l’évolution de la société. Mais il reste toujours le secret, ce qui résiste, l’unicité dans la façon d’être, de penser et celle de s’exprimer. Et Marrakech, monsieur Van Tieghem, c’est quoi pour vous ? Marrakech pour moi, c’est un labyrinthe, c’est la ville de la civilisation des espaces, de la lumière et des couleurs (comme le pense Rachid Andaloussi, grand architecte à Casablanca). Elle est plus intense encore que celle des voitures, des motos ou des vélos parce qu’elle gravite dans la séduction et les contrastes ». Il me donne alors l’exemple du Palais El Badii avec ses traces et ses mémoires. Au-delà des murs, le Palais Royal. Et puis ici et là : une cigagne et un palmier dessinés sur un fond blanc de neige. La lumière change tout le temps à Marrakech, donc et aussi les couleurs. Le Minbar de la mosquée de la Koutoubia et pour lui, magnifique, mais il est impossible d’en voir les précieux détails, si ce n’est sur des photos collées aux murs. C’est un exemple d’accession inaccessible au secret. En continuant de parler de Marrakech, J. Pierre me parle de ce qu’il appelle son seul secret dévoilé : c’est sur la Place Djamaâ El Fna, un charmeur de serpents lui dit que ses « petites bêtes » n’ont plus de dents, mais cela ne les empêchent pas d’être charmées. Notre ami Van Tieghem est rentré dans l’intimité de Marrakech, de ses coins et de ses habitants. J’ai été sideré de l’entendre dire : « Vive Marrakech, vive le café les Négociants où les négociations d’idées n’en finissent jamais ». Chez cet homme qui a évidemment beaucoup de qualité qui sont rares actuellement en Europe. J. Pierre est un homme sociable, simple, intellectuel et surtout ses paroles dégagent une impression de gentillesse, de chaleur, de sincérité et de sympathie. Sa modestie le pousse à se référer à certains artistes ou penseurs marocains pour décrire telle ou telle situation. A l’écouter, on se rassasie. Chez lui la notion d’espace-temps bascule entièrement. A Marrakech, le ciel devient rose comme les maisons. Dans les rues, on chuchote et on klaxonne, ce qui lui fait dire : « Marrakech, c’est un monde qui échappe à toutes les normes ». Des fois, J. Pierre Van Tieghem est saisi par certains tableaux de la vie de tous les jours, par exemple, ce vieux qui le guide et qui parle sans les dents des parus. Il regarde les tableaux de Mahi Binebine, ces masques du visage, une vie immobile dans un regard figé, la matière et la couleur qui se confondent, un livre « Les funérailles du lait », rempli de traces comme celles de la prison à côté du palais El Badii. Malgré tout, J. Pierre constate que Marrakech évolue dans le bon sens, tout tourne de plus en plus vite, le changement à Marrakech : un vertige. Les âges, la vie, la façon dont les gens sont habillés, surtout les femmes entre la tradition, la religion et toutes autres sortes d’évocations. Marrakech est un théâtre continuel, sur la place, sur les terrasses de cafés, dans la rue. Tout est spectacle. Les acteurs sont les Marrakchis qui passent, qui sont là, présents. Jean Pierre me dit : « Marrakech est une ville unique où je rejoins l’infini ». J. Pierre Van Tieghem continue de parler de Marrakech avec un oeil du critique d’art. Il me raconte une chose extraordinaire à savoir que dans cette ville il retrouve l’expression artistique de la peinture et celle de la sculpture. Se référant toujours à son ami Mélihi, qui pense où est la limite entre la peinture et la sculpture ? Hé bien, la limite, c’est quand il y a de l’ombre c’est une sculpture. Au Maroc, jadis elle était interdite parce qu’elle portait ombrage, aujourd’hui lumière et ombre sont entrées en dialogue. J. Pierre conclut : « Aziz, vois-tu, nous sommes de retour, après cette discussion, à Marrakech, ville de lumière et d’ombre et le plus beau cadeau de ma vie c’est d’avoir été accepté par les gens de ce pays». Aujourd’hui, J. Pierre a un souci, il veut développer des rapports priviligiés dans le domaine de la culture entre ses deux pays : le Maroc et la Belgique. En tous les cas, cher J. Pierre, Marrakech et tes amis ici te souhaitent pleine de bonne réussite en ce début de 2004 dans toutes tes entreprises de critiques et de réalisations artistiques.