Chroniques

Je veux grandir s’il vous plaît !

© D.R

A quoi sert l’école ? Certainement pas à former des automates. Pour forger la personnalité de l’enfant, plusieurs éléments interviennent. Le plus important serait de cultiver le rêve et d’élargir le champ du possible pour les jeunes générations.

Que peut connaître un enfant qui est obligé d’obéir, de suivre des règles et de ne jamais demander pourquoi ni comment ? Un élève qui désire en savoir plus, qui veut élargir le champ du possible, qui essaie d’apprendre davantage que ce que l’école lui donne, est stigmatisé, ostracisé et marginalisé comme un élément perturbateur d’un système bien rôdé et qui ne souffre aucun grain de sable menaçant de ruiner sa machinerie. Le résultat, à travers les âges, est bien connu : des millions d’individus qui ont éculé des bancs de classe et qui ont fini dans les oubliettes. Et une poignée d’irréductibles qui ont pris le savoir à leur compte et qui ont changé la face du monde. D’où le grand danger pour l’ordre établi et les autorités en place : un esprit libre est un esprit révolté qui jamais ne se soumettra à aucune autorité. L’idée de base a pourtant toujours été très claire : élever des hommes libres qui ne plient devant rien ni personne et qui exaltent la vie dans sa grande dignité. «La tâche des instituteurs, ces obscurs soldats de la civilisation, est de donner au peuple les moyens intellectuels de se révolter», écrivait Louise Michel dans «Mémoires». Se révolter dans le sens pacifique du mot, qui est d’abord une révolte contre eux-mêmes et contre les anachronismes de leurs sociétés pour les changer, pour les améliorer, pour les rendre meilleures. Mais, c’est toujours le contraire qui s’opère. Ces mêmes instituteurs inculquent aux enfants tous les moyens de la soumission et de l’asservissement. Ils leur intime l’obéissance aveugle. Ils les obligent à tout accepter comme allant de soi, sans jamais protester ni trouver à redire. Ce qui fait dire à Paul Léautaud que «Tout ce qui est l’autorité me donne envie d’injurier». Parce que c’est haïssable. Parce que c’est misérable. Parce que c’est criminel de réduire les enfants à de simples apprentis destinés à devenir des fonctionnaires de l’existence, sans force, sans élan, sans ambitions de grandeur et de dépassement d’abord de soi, puis des contingences barbares de la vie. «Tant que les études n’auront pas une méthode encyclopédique de manière à élargir l’horizon au lieu de le restreindre, il se joindra à tous les obstacles de la pauvreté qui entravèrent le vieux maître d’école, les obstacles du préjugé qui fait craindre ce qui ne fait pas partie du coin exploré », précise Louise Michel. Un enseignement ciblé, spécialisé, indigent et malingre, sans substance, sans profondeur, sans force finit par donner corps à des exécutants destinés uniquement au marché du travail pour grossir les rangs de toutes ces milices d’ouvriers, de fonctionnaires, de spécialistes de tout et de rien, qui répètent, à chaque instant, le même geste, le même mouvement, la même action, jusqu’à la retraite. Ou alors à devenir des chômeurs patentés, haineux, hargneux et amers. Finalement, l’autorité éducative, basée sur des visions rétrogrades, produit des ratés, qui auront manqué leur vie pour avoir servi celles des autres, notamment ceux qui les embauchent et leur donnent un salaire d’échange pour leur faculté de fournir un effort monnayable. C’est à cela qu’a toujours servi l’école. C’est à cela qu’elle servira encore : détruire l’autonomie et l’élan de l’indépendance intellectuelle et culturelle, censés être ses postulats de base : « L’autonomie consiste à se donner à soi-même envers l’autre une loi, plutôt que de la recevoir de la nature ou d’une autorité extérieure », écrit Antoine Spire dans «Le monde de l’éducation». De fait, quand c’est une autorité lointaine qui dicte toutes les lois et toutes les mesures dans le but de diriger l’éducation dans le sens qui sert ses intérêts, l’individu n’a plus que deux choix : accepter sa propre négation ou refuser. C’est là qu’intervient le rôle de la famille participant, elle aussi, à ce processus barbare de former des automates…
A suivre.

Par Dr Imane Kendili
Psychiatre et auteure

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