Chroniques

La fabrique des enfants tyrans

Dr Imane Kendili | Psychiatre et auteure.

Un enfant n’a pas besoin d’être inondé de compliments. Il a besoin d’être encadré. Il n’a pas besoin qu’on nie ses erreurs, mais qu’on l’aide à les comprendre.

Il est génial. Il est formidable. Il est extraordinaire. À cinq ans, on le dit «mature». À dix, «surdoué». À quatorze, il a des problèmes à l’école ? C’est normal, il s’ennuie, il est trop intelligent. Il a des difficultés avec les autres ? C’est qu’il est à haut potentiel… culturel. Ce sont les autres qui ne le comprennent pas. L’école qui ne le stimule pas. Les copains qui ne le méritent pas.
Cette logique, on l’entend de plus en plus souvent. Une logique aussi sincère qu’erronée, aussi bienveillante qu’aveugle. Parce qu’à force de chercher des explications extérieures à chaque difficulté, on prive nos enfants de la possibilité de se confronter, de se construire, de grandir.
Je suis psychiatre. Et je vois les conséquences de ces justifications permanentes. Ces enfants qui n’ont jamais été contredits, qui ont toujours eu raison trop tôt, arrivent à l’âge adulte avec des failles béantes. Des adultes hypersensibles, incapables de frustration, dévorés par l’angoisse de l’imperfection, en quête d’une validation permanente. Le mythe de l’enfant roi devient alors le berceau d’une immense fragilité psychique.
Un enfant n’a pas besoin d’être inondé de compliments. Il a besoin d’être encadré. Il n’a pas besoin qu’on nie ses erreurs, mais qu’on l’aide à les comprendre. Il n’a pas besoin de parents qui s’excusent de poser des limites, mais de figures solides qui résistent à sa toute-puissance.
Et cette résistance commence tôt. Dans les «non» que l’on ose dire, dans les frustrations que l’on ne contourne pas, dans la constance qu’on lui oppose avec amour. Ce travail est difficile, exigeant, épuisant parfois. Mais c’est lui qui construit l’être.
Car oui, un enfant a besoin de cadres. De parents. D’éducateurs. De murs contre lesquels se heurter sans se blesser. C’est dans ces chocs mesurés qu’il apprend ses contours. C’est dans les limites posées avec amour qu’il découvre sa force. Ce n’est pas la surestimation qui fait l’estime de soi, c’est l’épreuve, la reconnaissance, le lien.
En tant que mère, je le vis aussi chaque jour: poser des limites, ce n’est pas briser, c’est bâtir.
C’est dire à l’enfant: «Je te vois, tout entier, même dans tes zones d’ombre. Et je t’aime assez pour ne pas te laisser croire que tu es tout-puissant».
Nous avons besoin de restaurer une vérité simple : l’amour n’est pas synonyme de liberté absolue. Il est présence, exigence, accompagnement. Il est parfois silence, parfois fermeté. Il est la main qu’on tient, et celle qui empêche la chute. Il est urgent de redonner à l’enfant sa juste place : non pas au centre de tout, mais au cœur de ce que nous transmettons.

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