Chroniques

La légalisation du cannabis au Maroc : Un marché lucratif aux retombées médico-sociales (2/2)

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Cette autorisation de l’usage médical du cannabis est une réforme qui est faite selon des conditions et des règles strictes.

II. le potentiel économique du cannabis, plante multi-usages: Un marché mondial en pleine expansion
Après cette légalisation, le Maroc pourrait gagner près de 944 millions de dollars dès la première année. Ainsi, 90.000 à 140.000 familles vivent de la culture et de la commercialisation du cannabis dans le Nord du Maroc. Cette activité emploierait environ 800.000 personnes (2).
Outre la création d’emplois, le ministère de l’intérieur estime que les revenus d’exportation générés par le marché licite du kif oscilleraient entre 4,2 et 6,3 milliards de dollars (3) à l’horizon 2028.
Ainsi des programmes de formation (4) ont été effectués afin de tirer profit des expériences mondiales réussies en matière d’usage médical du cannabis dans le système de soins et de les mettre à la disposition des patients à travers des prescriptions médicales délivrées par des médecins ou pharmaciens, en précisant les voies permettant le suivi des patients, à même de renforcer les capacités des professionnels de la santé.
Dorénavant, la modernisation en cours sera bénéfique du moment qu’elle change considérablement la donne économique de l’industrie du cannabis, vers un cadre formel et unifié, selon la tradition du marché et dont les coûts et les bénéfices étaient largement modifiés à l’insu de la plupart des observateurs et des décideurs.

III. Introduction et développement des cultures alternatives dans le Rif : Une lueur d’espoir pour les cultivateurs lésés
L’avenir du Rif et de sa paysannerie dépend toujours indubitablement de celui de l’économie du cannabis et de l’évolution des législations antidrogue marocaine et internationales.
Dès lors, la spécialisation des paysans dans la culture de cannabis, entre l’endiguement et l’acceptation au niveau national, fait du Rif central un espace de déviance (5). L’activité du cannabis englobe un ensemble de pratiques transgressives, des normes juridiques et sociales. Jusqu’à présent, l’économie du cannabis a largement contribué à la fixation (6) de la population dans la région. Ce marché juteux que l’État voudrait voir profiter aussi aux paysans, qui sont souvent le maillon faible du commerce illicite. Davantage, le Maroc entend «libérer les agriculteurs de l’emprise des trafiquants et des réseaux mafieux».
Grâce au projet de légalisation de l’usage thérapeutique de cette plante interdite au Maroc, et après des décennies passées dans la semi-clandestinité, les cultivateurs vendront leurs récoltes de cannabis «la tête haute».
Une telle loi pourrait avoir des retombées positives sur toute la société en termes de justice sociale, de santé publique, d’économie, de sécurité, d’éducation, d’environnement.
Parallèlement, les échecs successifs des éradications forcées et celles des cultures alternatives ont montré qu’il fallait envisager, d’ores et déjà, le développement économique et social de cette région par un marché légal d’usage de cannabis thérapeutique ou industriel, car la répression seule a prouvé son inefficacité.
Une potentielle légalisation permettrait de réduire l’impact social du cannabis «en le rendant banal, donc beaucoup moins attractif, et en instaurerait aussi un contrôle de qualité qui éliminerait le danger apporté par des variétés aberrantes»(7).
De plus, la culture du cannabis au Maroc est l’héritière d’un long et complexe héritage qui ne peut être ignoré. A côté de cet encadrement législatif, c’est aussi un sujet socio-économique qui nécessite un travail culturel, afin de récréer la confiance des différentes composantes sociales cultivant cette plante, par le biais des coopératives qui peuvent trouver un terrain de collaboration avec l’agence, et notamment avec l’Etat dans le processus de vente aux industriels. Ce qui apportera davantage de stabilité et d’assurance en faveur d’une grande catégorie de population qui passera de l’illégalité à la légalité et des nouveaux droits vont être mis en place.
Finalement, et à travers l’éventail juridique encadrant cette légalisation, on peut constater que le Maroc a fait le choix de la légalisation de certains usages du cannabis liés à ses applications thérapeutiques, médicales ou industrielles, tout en gardant non seulement la prohibition de son utilisation récréative, mais sa pénalisation à travers une réponse répressive lourde qui se traduit par des peines privatives de liberté qui nous laisse questionner la possibilité d’instaurer des peines alternatives ou substitutives dans le cadre d’une politique pénale publique qui privilégie une optique de réduction du surpeuplement dans les établissements pénitentiaires.
Pour l’intérêt général du Maroc et de son positionnement aussi bien au niveau du continent africain qu’au niveau mondial, une collaboration effective entre les différentes composantes étatiques et un engagement de la part des responsables au sein du gouvernement, loin de toute polémique politicienne stérile, se sont avérés indispensables pour mener à bien l’intégration de ce cadre juridique innovant.

(2) Cette estimation a été faite par des experts de Prohibition Partners, une société britannique spécialisée dans le consulting pour le marché du cannabis.

(3) Malik Ben Salem, «Stupéfiants. Au Maroc, le cannabis est désormais un business licite» : Courrier international, juin 2022.

(4) Organisée par l’Association marocaine consultative d’utilisation du cannabis (AMCUC), en partenariat avec les laboratoires pharmaceutiques, pour acquérir des connaissances sur les usages médicinaux et thérapeutiques du cannabis.

(5) Khalid Mouna ; Kenza Afsahi, «Cannabis dans
le Rif central (Maroc) – Construction d’un espace
de déviance»

(6) Pierre-Arnaud Chouvy, Du kif au haschich : évolution de l’industrie du cannabis au Maroc», Bulletin de l’association de géographes français,
95-2 | 2018.

(7) Karim Anegay, Ancien directeur du programme «Introduction et développement des cultures alternatives dans le Rif» et écologiste de formation, recueillis par Oussama Abaouss, l’Opinion, Décembre 2020.

Khaoula BALAJ

Doctorante /Laboratoire des études juridiques et judiciaires ; Sciences criminelles.

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