Aujourd’hui, le grand scandale allemand est qu’on confectionne la solution de la crise migratoire dans les mêmes termes qu’on a élaboré la solution finale pour se débarrasser de la question juive dans l’Allemagne nazie.
La théorie de la remigration, c’est l’extrême droite allemande, incarnée par l’AFD, qui en a fait la promotion. Depuis quelques jours, l’Allemagne est en ébullition car un groupe de l’extrême droite a tenu une réunion secrète dans un lieu hautement symphonique de la mythologie nazie pour évoquer la possibilité d’expulser de millions de migrants et des Allemands d’origine d’immigrés qui auraient des difficultés à s’intégrer dans la société allemande.
Selon la presse allemande, cette réunion s’est tenue à la fin du mois de novembre 2023, dans les environs de Potsdam (Land de Brandebourg, une ville limitrophe de Berlin) et aurait eu pour principal objet un débat organisé autour d’un projet intitulé «De l’émigration des étrangers en Allemagne vers d’autres destinations à l’étranger».
Selon de nombreux rapports dans la presse, l’objectif assumé de cette posture est de se donner les moyens d’expulser vers l’Afrique du Nord quelque 2 millions de personnes qui vivent aujourd’hui en Allemagne : des migrants et des demandeurs d’asile, mais aussi des citoyens allemands d’origine étrangère.
Cette situation est inédite dans la perception de l’extrême droite face à la crise migratoire. Aujourd’hui, le grand scandale allemand est qu’on confectionne la solution de la crise migratoire dans les mêmes termes qu’on a élaboré la solution finale pour se débarrasser de la question juive dans l’Allemagne nazie. Scandales et haut-le cœur au sein de cette société allemande qui voit ses démons du passé se réveiller. Les manifestations de protestation se multiplient pour dénoncer ce scénario cauchemardesque porté par une extrême droite allemande en plein essor et en pleine progression. Sa récente entrée au Bundestag, le Parlement allemand, inédite et massive, était un signe évident de la prospérité de son discours et de son programme anti-immigrés.
L’immense choc provoqué par les agendas affirmés de l’AFD allemande peut être salvateur dans le sens où il provoque un réveil douloureux de l’opinion allemande face au retour des démons du passé. Les nombreuses manifestations dans de nombreuses villes allemandes témoignent de cette prise de conscience et ce refus des nouvelles lubies de l’extrême droite. De nombreuses voix allemandes sont allées jusqu’à proposer l’interdiction pure et simple d’un parti comme l’AFD qui prône cette macabre théorie. Outre que cette procédure pourrait être longue, certaines analyses en Allemagne pensent que cette démarche pourrait être contre-productive et pousser d’autres Allemands dans les bras de l’extrême droite.
Peu importe que cette théorie de la remigration appartienne plus aux fantasmes et que sa mise en exécution soit plus improbable que ne le souhaitent les zélés de l’extrême droite, mais sa diffusion installe aussi bien en Allemagne qu’en Europe une nouvelle atmosphère face à la crise migratoire.
D’autres pays européens dans lesquels l’extrême droite vit une prospérité inédite surveillent avec beaucoup d’intérêt le laboratoire allemand. Les idées sur la remigration qui y fleurissent peuvent être une source d’inspiration pour ces partis de l’extrême droite et influencer leurs programmes et leurs agendas. En France, le Rassemblement National, dirigé par Marine Le Pen, n’a jamais évoqué en public son positionnement sur la remigration. Et pour cause. Pour un parti qui cherche absolument à se dé-diaboliser aux yeux de l’opinion française pour tenter de devenir un parti normal qui pourrait accéder au pouvoir, adopter publiquement la théorie de la remigration serait un suicide politique. Un tournant qui aura beaucoup plus d’impacts que si le parti de Marine Le Pen décidait de revenir au Frexit et à l’abandon de la monnaie européenne l’euro.
En France, l’homme qui pourrait épouser les agendas de l’AFD allemande est le radical extrémiste Éric Zemmour. Il s’est distingué ces dernières années en France par la promotion de la théorie du grand remplacement qui pourrait être l’autre pendant justificateur de la théorie de la remigration. Heureusement pour la société française, les performances électorales du parti d’Eric Zemmour restent confidentielles et son impact est plus médiatique que réellement politique.
Le contexte européen dans lequel ce recours à la remigration intervient est politiquement effervescent. L’Europe est à quelques mois d’élections européennes cruciales car la plupart des instituts de sondage décrivent une poussée inédite de l’extrême droite qui pourrait bouleverser toute la physionomie du Parlement européen. La menace de la remigration pourrait servir de carburant électoral pour inciter les hésitants à épouser les idées de l’extrême droite.