Comme un rictus de l’histoire, le forum sur la réparation organisé par l’I.E.R, le week-end dernier, s’est tenu, hasard de calendrier, au lendemain du référendum algérien. Aucun lien mais effet de miroir tout de même. Côte à côte, on avait là deux démarches dans deux pays presque similaires avec des régimes politiques différents. Face à leur histoire, et toute proportion gardée, à leurs tragédies et à leur mémoire, ils ont emprunté deux sentiers distincts.
Quand l’Etat algérien a choisi de désagréger la mémoire par la connivence du suffrage, les Marocains ont, eux, fait le choix de la lecture attentive de la page détestable. Quand le pouvoir algérien a piloté la validation de la concorde, le Monarque marocain a délégué le travail de réconciliation à la société civile avec d’éminents personnages sortis des rangs des victimes les plus remarquables, à commencer par le président de l’IER, Driss Benzekri.
Le maître de cérémonie, Driss El Yazami, a bien fait les choses. Il était dans son élément. Je connais bien ce militant intègre. Homme de la rectitude, sa hauteur morale est cristalline. En France, ses apports aux droits de l’Homme et aux combats moraux sont connus de tous. C’est un organisateur né de la circulation de la parole. Il aime plus que tout le dialogue, la concertation, l’idée et la liberté. Du coup, tout ce que compte le Maroc comme militants, associations, figures emblématiques ou inconnus, s’est donné rendez-vous à Rabat. Comme pour conjurer, le temps d’un week-end, la douleur indicible. Comme pour panser la plaie par la parole enfiévrée. Comme pour prévenir le futur en le sommant de ne pas renouer avec le Passé. Ce Passé là.
Point fort de la démarche : la mémoire vivante. Plusieurs victimes sont toujours en vie, et les empreintes « de plomb» sont encore tangibles dans différentes régions marocaines.
J’ai beaucoup circulé au gré de la parole. La parole arabe. Dans un sens, cette langue est prodigieuse. Elle est moins propice à la rationalité qu’elle ne l’est à l’émotion. Elle met en relief l’émoi. Elle l’illumine, l’enlumine et le livre empaqueté dans des envolées qui gagnent le cœur et atteignent l’âme. Trois choses cependant:
1). J’ai cherché la haine. En vain. J’ai trouvé beaucoup d’amour pour le pays. Une citoyenneté intacte. Un profond désir de reconnaissance de la dignité bafouée. Une exigence de justice.
2). Je supputais l’amazighité comme un débat salonard. J’ai constaté que c’est une revendication authentique. Presque de l’ordre de la lame de fond. Elle semble personnifier par la symbolique de son délaissement, l’abandon réel, économique et social, des régions où elle est la plus prospère et fertile.
3) Excepté Mohamed Moatassim pour le Palais et Bouzoubaa pour le gouvernement, j’étais frappé par l’absence des politiques, dans une agora où le murmure est invité à prendre de la voix et du coffre. Défiance ? Crainte ? Peur de l’ombrage ?…
C’est bien dommage. D’autant que certains trains ne cachent pas nécessairement un autre.