J’ai appris à en apprivoiser les tréfonds. Mais il y a toujours quelque chose qui m’échappe dans cette volonté qu’elle a à se particulariser. C’est la deuxième fois, à l’occasion d’un scrutin régional, qu’elle montre, au monde, son goût pour la singularité. Déjà en 2004, elle est restée, avec la Corse, la seule région préservée par la droite. Elle a récidivé dimanche dernier. Toute seule. Elle apparaît désormais comme une île bleue sur les rives d’un océan rose. Cette détermination à contrarier même les tendances les plus lourdes est impressionnante. Cela en fait, du moins en lecture politique, une enclave où le conservatisme fait office de rébellion. Mais il ne faut pas s’y tromper. L’Alsace cultive avec un soin particulier, des spécificités qui, à bien des égards, lui donnent une individualité propre.
On ne change pas impunément cinq fois de nationalité. Ballottée entre la France et l’Allemagne, cette région a fini par garder un profil franco-germanique et des soucis identitaires. L’Alsacien aime à dire qu’il est d’abord alsacien avant d’être français de nationalité ou allemand de culture. Il a une forte exigence, pour ne pas dire radicalité, identitaire qui s’incarne surtout dans la vivacité de sa langue mais aussi dans la préservation de fortes traditions. Ce bout de France qui a emprunté à l’Allemagne le goût de l’effort et du travail rigoureux est une région prospère. Elle est première exportatrice de l’Hexagone, seconde en produit brut et a toujours eu un taux de chômage plus bas qu’ailleurs. Terre de Concordat, elle est très conservatrice. Hors des grandes agglomérations, l’Alsace a toujours été pour la gauche une terre de mission. Le Front National, lui par contre, y a réussi ses meilleurs scores depuis 20 ans et ce, sans compter la concurrence locale incarnée par d’autres partis locaux d’extrême droite comme «Alsace d’abord». Il y a, par exemple des petits villages magnifiques et embellis où quand il y a un acte de délinquance, c’est généralement un pot de fleur qui est tombé par inadvertance. Où on ne compte pas un seul chômeur ni un immigré. Et pourtant nombreux de ces villages ont donné ses meilleurs scores au Front National. Ceci a beaucoup intrigué les chercheurs et les politologues. Le cas alsacien a brisé le lien qu’on a pris habitude d’établir entre le vote d’extrême droite et les lieux de l’exaspérante désespérance sociale. Il a prouvé, ce cas, et à maintes reprises, que des lieux très prospères peuvent constituer des bastions pour l’extrême droite.