Ce qui semble le mieux définir le caractère marocain, c’est non pas d’être armé du Doute tel que l’entend l’esprit cartésien mais d’être vérolé par la méfiance (Tnaoui). Le doute peut être fécond. Sans quoi, l’esprit scientifique n’aurait, sans jeu de mots, aucun sens. La méfiance, elle, reste une attitude sociale qui, bien que salubre parfois, est en grande partie infertile. Peut-être est-ce l’un des avatars légués par les années de plomb. Nous y avons surtout appris à se méfier de tout et de tous : des institutions, du pouvoir, des flics, du moqaddem, du chaouch, des voisins, des inconnus attablés au café, du mouchard que pouvait receler hypothétiquement chaque Marocain, du vendeur de cigarettes au détail, qui dissimule un indicateur potentiel, chargé d’observer le va-et-vient… la vraie force d’un système totalitaire est de s’ériger en Big Brother ubiquitaire. D’être virtuellement présent partout. Et, en la matière, les Marocains furent des orfèvres.
Le Maroc a choisi, non pas, comme on le dit trop facilement, de tourner un chapitre noir de son histoire, mais de le lire lucidement. Sereinement. Cependant, depuis l’installation de l’IER, un hétéroclite aréopage d’apostropheurs n’a eu de cesse de faire de la surenchère. De distiller la suspicion pour entacher le dispositif. Pas le doute légitime qui impose vigilance jusqu’au terme de l’expérience. Non. La méfiance. Le reste est une affaire d’arguments : ils prétendent ne pas se contenter de dire Non au passé. Ils veulent des Noms et des scalps. Ils réfutent la simple réconciliation. Ils veulent châtiment et pénitence. Ils arguent que la parole doit être libre, non restreinte, ni dans le temps ni dans l’espace et encore moins dans le contenu. Et ils ont fini par pasticher le Prophète, qui a dit «Vous avez votre religion et j’ai la mienne», en proclamant : «Vous avez vos auditions et nous avons les nôtres». Des audiences parallèles se sont tenues.
Et alors! Ce fait suffit à lui-même pour prouver, comme une pièce à conviction, le nouveau climat du pays. Elles se sont tenues dans une salle d’un ministère. Plus officiel, tu meurs. Elles ont eu droit à une couverture médiatique, même si celle-ci est dénoncée comme insuffisante aux yeux de ses promoteurs qui menacent de porter plainte à la HACA, de solliciter la presse internationale ou, pourquoi pas, la Cour internationale de justice de La Haye. Or, il y a tout de même quelque chose de pernicieux dans cette histoire. Loin de déplorer la fêlure du consensus qui aurait pu entourer l’IER. Il est tout de même choquant d’assister à une telle manipulation des symboles.
Pour, au moins, deux raisons : la première, c’est que la parole débridée, habillée d’une toge libertaire, représente à l’égard du Sens ce que la pornographie est à l’érotisme. La seconde, c’est que l’Histoire n’est pas une valise. On ne peut y mettre des choses aussi différentes que culottes, chemises, brocantes et bibelots. Jouer sur les périodicités, quand il s’agit de l’Histoire, cela à un nom : l’ambiguïté. Driss Benzekri s’était trompé de syllabes. En réalité, il ne s’agit pas de mafieux. Juste des méfiants.