Lundi prochain, la France risque de se réveiller groggy. Les Français, coutumiers du coup de boutoir politique, depuis près de vingt ans, s’apprêtent à accomplir un exercice désormais favori: le défoulement. Seulement, cette fois-ci, la question n’engage pas leur seul sort. Elle hypothèque, en partie, la construction de l’Europe dont ils sont les séculiers fondateurs. Mitterrand, réveille toi, ils sont devenus fous. Le rejet du Traité constitutionnel, annoncé par la récurrence et la persévérance de la prophétie des sondages, est fort probable. L’opinion française va, en faisant, valider non seulement la fracture sociale qui la mine, mais confirmer le divorce institutionnel qui lamine la continuité politique. En effet, UMP, UDF, Vert et PS, la Présidence de la République, l’intégralité du gouvernement, 80% de la représentation nationale, Sénat et Parlement confondus, et presque la quasi-totalité des grands médias sont pour le «Oui». Ce sont pourtant les «Nonistes» qui ont le vent en poupe. C’est le triomphe de la dissidence. Les partisans du oui en sont à invoquer la magie du renversement du match A.C Milan/Liverpool pour croire au miracle.
Le choix par Jacques Chirac du referendum, comme outil de démocratie populaire, est en train de se muer en boomerang. Cette option était elle-même présidée, entre autres, par un calcul tactique. Il s’agissait, en plus de diviser une gauche victorieuse aux dernières consultations électorales, de se refaire une santé politique sur le dos de l’Europe. Au lieu de répondre à la question, l’opinion s’apprête donc à riposter au questionneur. Elle privilégiera son refus du contexte actuel pour récuser un texte encore virtuel, quitte à se tromper de colère. Ceux qui rêvent du grand soir auront, probablement, dimanche, leur petite soirée.
Les Français, il est vrai, ne se sont que rarement passionnés pour les institutions européennes. Ils étaient renforcés en cela par un personnel politique qui a toujours fait preuve d’un mépris à l’égard de l’Europe. Leur demander leur avis sur un texte complexe de près de 400 pages était, bien honorable, légèrement hasardeux. Et si l’on devait retenir un élément positif de cette consultation, ce serait assurément le retour du goût du débat dans une opinion qu’on disait atonique, désabusée et désintéressée par la chose publique. La victoire du «Non» enfantera essentiellement trois perdants : l’Europe qui devra différer son édification au moment où le monde se recompose en aires gigantesques. Le Président de la République qui à force d’exceller dans la tactique et la stratégie électorales a fini par étouffer toute certitude et toute espérance.
Enfin, la gauche. Ses dissensions sont tellement abyssales que cela l’éloigne des perspectives d’alternance. Dans ce débat, elle aura, en plus de fabriquer des éclopés, exhibé des discordes telles que tout rassemblement, dans l’immédiat, apparaîtrait comme un rabibochage d’opportunité ou un bricolage électoral. Ce scénario risque, tactique oblige,d’accélérerletemps politique… Dissolution? Qui a dit dissolution ?