Chroniques

Label marocanité : Les petitesses des grands

Au lendemain de la déroute électorale des Régionales où la droite française va perdre presque l’intégralité des Régions, Dominique de Villepin, ministre de l’Intérieur d’alors avait suggéré au Président Jacques Chirac de nommer Nicolas Sarkozy Premier ministre, en remplacement de Jean-Pierre Raffarin. «Le Président n’avait pas répondu tout de suite. Il avait laissé un silence, le temps de trouver les mots justes pour répondre à une suggestion qu’il devait trouver déplacée, puis il avait rétorqué : «Dominique, quand le peuple souffre, on n’envoie pas les CRS.». Terrible sentence. A d’autres moments, face à la même proposition : «Mais cela Dominique, je vous le dis, cela n’arrivera jamais» ou encore «S’il y a une chose dont je suis sûr, c’est que jamais je ne nommerai Nicolas Sarkozy Premier Ministre».
On trouve ces tirades, j’allais dire ces perles, dans un livre «Des Hommes d’Etat» (i) récemment paru et qui aurait tout aussi bien pu s’intituler «l’état des hommes». Il est écrit par un très proche collaborateur de Dominique de Villepin, Bruno Le Maire, ancien conseiller diplomatique du flamboyant ministre des Affaires étrangères du fameux discours de l’ONU avant d’en devenir le directeur du cabinet à la primature. Il est aujourd’hui député de l’Eure.
C’est un livre plaisant. Il ne se lit pas. Il se dévore. Le genre de bouquin qui rend moins pénible les désagréments d’un retard d’avion et à faire de la salle d’attente de votre dentiste un endroit agréable. Il s’avale par séquence tant il est en miettes. Un journal de quatre cent cinquante pages tenu par un scribe scrupuleux, un intendant des humeurs et un capteur de la phrase impitoyable qui braque sa plume sur des plans-séquences coupés. On sent, à la lecture, que derrière le collaborateur discret et surbooké, il y a un clandestin qui se réfugie, par dérobade, dans l’isolement de l’écriture, non pas pour témoigner, mais pour assouvir une passion littéraire contrariée.
Il y a, dans ce récit de bonne tenue littéraire, et en filigrane, trois portraits parallèles qui actent une lutte impitoyable. Un président qui aura tout vaincu sauf la vieillesse et la lassitude du pouvoir, Jacques Chirac. Un esthète de la politique dont les rêves élyséens seront balayés par la damnation matignonesque qui veuille qu’un Premier ministre devienne rarement président, Dominique de Villepin. Enfin, le portrait du plus dévoré par l’ambition, qui finira par abattre les deux premiers titans avant de battre Ségolène Royal au finish.
Bien que les situations décrites soient aujourd’hui désuètes, vu le destin qu’a connu chacun de trois hommes, elles n’en caractérisent pas moins la férocité rare qui régnait au sommet de l’Etat, entre les trois plus puissants personnages du précédant quinquennat. Bruno Le Maire, dans le huis clos de la tête de la pyramide de l’Etat, dessine, par bribes, l’aquarelle de la comédie humaine sous les dorures des palais de la République. Et même si par moment, il livre quelques fragments intimes, sur lui-même, sur ses enfants Louis ou Adrien, l’essentiel du récit traite d’une singulière guerre des ego. Un bûcher des vanités.

(i) Bruno Le Maire. Des hommes d’Etat (Grasset)

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