C’est la rougeole. La France, beau pays où il fait bon vivre, est comme frappée par cette maladie infantile tant son visage est buriné par des tâches rouges flamme.
Le déchaînement de la violence et le débridement des passions n’ont jamais atteint un tel degré dans un pays familiarisé, depuis vingt-cinq ans et de manière cyclique, avec des explosions urbaines : Les Minguettes (82) Vaulx-en-Velin (90) Strasbourg, Lille, Toulouse, Perpignan… Toutes les villes qui hébergent des cités sur leur territoire ont connu, à un moment ou un autre, leur heure de violence. On prit même l’habitude de craindre qu’un incident dans un quartier toulousain puisse avoir des répercussions, à travers une toile invisible de solidarité, sur un quartier de Lyon. Mais jamais on ne pouvait imaginer un événement d’une telle dimension, d’une telle ampleur, d’une telle amplitude. La toile est devenue un réseau, aidée en cela par le développement des nouvelles technologies, la généralisation du portable.
La culture du sms au service d’un état-major invisible et impersonnel, sans leader, sans stratégie, sans directive, sans revendication. La barbarie à l’état pur.
Chirac fut élu la première fois à l’Elysée sur le thème, fort juste, de la fracture sociale. Il avait capté l’air du temps dans une société au dualisme affermi. On parlait alors d’un modèle de société avec des gens qui vivent «dedans» et d’autres «en dehors», les «in» et les «out» . C’était il y a dix ans. Jamais fracture sociale ne s’est accrue au point où elle l’est aujourd’hui. Chirac fut réélu sur le thème de la sécurité accusant les socialistes, non seulement d’en être les responsables, mais plus grave, d’en être les complices. C’était il y a bientôt quatre ans. Le voilà à la tête d’un pays qui s’apprête à étendre le drap du couvre-feu sur son territoire. Et le recours à une loi d’exception, datant de 1955, adoptée pour faire face à une guerre civile, d’inspiration coloniale puisque sur trois applications deux concernent l’Algérie et la Nouvelle Calédonie sonne affreusement comme un aveu d’échec désastreux. En l’espace de quinze jours, la France a basculé dans le délire. Le vocabulaire guerrier de Nicolas Sarkozy n’était pas vierge de cynisme. Il entendait, de manière intentionnelle, mettre la sécurité et l’immigration au centre du débat politique présidentiel. C’est non seulement réussi, au-delà de ses espérances. Mais, c’est la Nation française, dans son ensemble, qui prend l’effet boomerang sur la figure.
Plus que de n’éclairer ou de rassurer l’opinion, son langage a parlé, avec résonance, à des jeunes rompus aux rapports de force et pour lesquels la culture de l’affrontement est presque de l’ordre du passe-temps. Les casseurs sont tout aussi libéraux que Sarkozy lui-même. A la différence près qu’eux n’ont ni foi ni loi. Mais ils sont tout aussi adeptes de la loi du plus fort. C’est marche ou crève. Voilà la lignée qu’aura léguée à la France la banlieue : Une culture de béton et de baston.
Vraiment, pauvre France !