Chroniques

Label marocanité : Transfert de culpabilité

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Passe encore, et c’est un minimum, qu’on s’émeuve sur les sorts des Africains agglutinés aux pieds des belvédères métalliques garnis de dards et d’aiguilles destinés à dissuader la plus courageuse des chairs. On en oublie que la conscience qui s’insurge est la même qui édifie depuis, quelques années, le mur barbelé. Passe encore qu’on déplore le sort de ces hordes de gueux noirs qui assaillent les murailles des ultimes frontières de sud de l’espace Schengen. On feint d’ignorer que Sebta et Mellilia, villes espagnoles, sont sur le sol de l’Afrique et en particulier sur le territoire marocain comme un héritage d’un colonialisme anachronique.
Passe encore qu’on se soit réjoui, il y a 16 ans de cela, de la chute de Berlin. Qu’hier encore, on était légitimement scandalisés par le mur israélien. Mais ce sont les mêmes consciences qui découvrent, avec effroi, la réalité des miradors barbelés réalisés par l’Espagne mais avec le concours de l’Europe. Ils sont de trois mètres ? Insuffisants à endiguer les flots ? Bientôt, ils seront hauts de six mètres. Ils compléteront ainsi la panoplie des murs électroniques, des radars puissants, des caméras thermiques, des vedettes ultra rapides, des chiens renifleurs… et quinze kilomètres de grande bleue, barrière naturelle, pour stopper «l’invasion africaine». Passe encore que l’on fasse du Maroc un Sangatte géant, en plus violent. La comparaison est loin d’être banale. L’intention du Subsaharien qui se dirige vers Mellilia n’est pas de rester au Maroc. Il se contente de le transiter. Sa démarche s’apparente à celle du Kurde qui se dirigeait vers Sangatte, enjambant France et autre Italie, pour atteindre le Londres d’avant attentats. L’attrait du Kurde pour la traversée de la Manche est tragiquement similaire à l’envie du Subsaharien de franchir le détroit de Gibraltar. Passe encore qu’on omette de rappeler que les barbelés de Sebta n’étaient pas destinés aux Subsahariens mais qu’ils étaient érigés d’abord contre les Marocains, nombreux à vouloir s’aventurer dans le détroit. N’est-ce pas au Maroc que le mot «Harragas» fut inventé. Ce qui, en revanche, est intolérable, c’est « le sanglot de l’homme blanc». On n’est plus dans la conscience malheureuse. On est dans le malheur de la conscience. Le  Maroc a les maladresses de ses défauts. Il était, jusqu’à là, pourvoyeur d’émigration. Il devient un lieu de passage des immigrations. L’Europe veut en faire le gendarme et le cerbère. Il a le tort de ne pas savoir, et encore moins d’avoir les moyens, de gérer ces phénomènes autrement qu’à travers le prisme sécuritaire. Avec tous les effets désastreux que des images de gueux menottés, maltraités et entassés impriment dans les consciences. En droit, il y a une règle intangible. On ne peut, dans une même affaire, être victime et coupable. Or, le Maroc est, en l’occurrence, victime de sa géographie et de son histoire. Par un subtil transfert de culpabilité, il est devenu le bouc émissaire médiatique idéal.  Les raids des Africains sur Mellilia ne sont pas un problème marocain. Ils sont la face tragique mais visible des rapports Nord-Sud, cet immense iceberg. Ils posent la question de la misère qui ne sème, en Afrique, que désespoir. Aucune muraille n’endiguera les flots, à défaut d’un développement économique. L’Afrique réclame un « plan Marshall». Seule l’Europe peut en être l’initiatrice.

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