Chroniques

L’amour dans la mort

© D.R

«Socrate prouvait l’immortalité de l’âme en montrant que la maladie de l’âme (le péché) ne la consume pas comme la maladie physique consume le corps. De même aussi, on peut prouver l’éternel qui est en l’homme en montrant que le désespoir ne peut consumer son moi, et que là justement réside la torturante contradiction du désespéré. S’il n’y avait en l’homme rien d’éternel, il ne pourrait aucunement désespérer, mais si le désespoir pouvait consumer son moi, il n’y aurait pas de désespoir.Le désespoir, cette maladie du moi, est ainsi la maladie à la mort. Le désespéré est malade à la mort. Cette maladie attaque les plus nobles régions de l’être en un tout autre sens que lorsqu’il s’agit d’une affection ordinaire ; et cependant, l’homme ne peut mourir. La mort n’est pas le terme de la maladie, elle est une fin constante. Il est impossible d’être sauvé de cette maladie par la mort, car la maladie, son tourment, et la mort consistent justement à ne pouvoir mourir».

Traité du désespoir Sören Kierkegaard

La Covid interroge toujours nos mémoires de poisson rouge. Il est amusant de constater les limites de notre mémoire antéroceptive qui efface allègrement les derniers mois en se projetant en joyeuses cigales dans un été éternel. Le chant reste lugubre mais le funeste attise les circuits de mémoire collective et le bilan mémorial se fait avant le purgatoire. On chante à l’unisson devant n’importe quelle hypocrisie colorée qui s’offre à la carte en joie promise. Une vaccination qui bat son plein. Des promesses réelles mais une responsabilité civique toujours à l’épreuve bien que dans un certain déni de «distanciation ».

Mais nous n’avons pas le temps d’y accéder, notre cerveau est «busy». Le rouge a envahi nos rues, les restaurants offrent des menus à la pelle promettant l’amour à la première bouchée tandis que les bloggeuses à la mode sur-sollicitées s’acharnent à trouver le présent idéal. Les adresses fusent entre chocolatiers et fleuristes. Une semaine orgiaque. A voir l’étalage des ornements de l’amour, vous n’avez même plus la force de solliciter l’objet d’amour humain. Vous êtes déjà amplement comblés. Pourquoi fêter l’amour ? Pourquoi l’étaler sur la Toile ? Pourquoi revendiquer l’amour et ses témoins matérialisés ? Comment accéder à la cristallisation quand le Crystal est objectivé dans la solitude extrême sans l’aimé. Qui aime-t-on réellement en fêtant l’amour ? L’Autre ? Ou soi ? Un «soi» ou «moi» narcissisé à l’extrême par l’image renvoyée par les amants de fortune. Autant d’amoureux que de «like» sur Instagram. Avec lequel ou laquelle passerais-je la matinée ou l’après-midi et qui aura le jackpot de la soirée ? L’amour se compte messieurs, dames. Et il peut coûter cher en perdant toute valeur. Ainsi, l’aimé(e) principal(e) aura casqué et bien casqué pour siéger quelques heures ou quelques jours. On s’endette pour offrir ceinture ou écharpe bien ornée d’un double G à son aimé ou même une voiture étoilée à sa bien-aimée. Se faire aimer est pénible et tributaire d’offrandes vite passées au bûcher pour d’autres à venir.

Au nom de plus d’amour. On déshabille Paul pour habiller Pierre et au bout du compte tout le monde reste nu d’amour. Seul. Reclus. On mendiera après quelques jours des like et on regardera fascinés les paons de la Toile défiler en enviant leurs attributs d’amour. L’homme n’a jamais été aussi seul. Au nom d’une liberté chantonnante, il est dans une personnalisation abusive de ses désirs et de ses plaisirs. La frontière s’est estompée et tend à disparaître depuis l’avènement de l’ère virale. Le confinement a marqué la rigidité du soi-même pour soi-même. La maladie du lien creuse son lis. La dépression nous guette. Le post-Covid laisse des séquelles psychiques, les dépressions augmentent. Les psychiatres sonnent l’alarme. Mais le post-Covid seul n’est pas responsable. La tolérance au mal et l’adaptation sont à leur comble et baignent dans un déni indécent. Le 29 octobre 2020, une tribune publiée sur Regards.fr, signée par plus de 500 personnalités, titrait «Le remède sera pire que le mal», évoquant les conséquences économiques, sociales mais également sur l’équilibre psychique ; la semaine dernière la revue Psychologies titre : «La troisième vague sera psychiatrique». Le virus qui se profile désormais s’appelle anxiété, insomnie, colère, addictions, burnout, tentatives de suicide… les taux de suicide sont à évaluer. On parle d’une augmentation planétaire du taux de suicide.

Un dépeuplement d’une Terre surpeuplée par soi et pour soi. L’extrême d’un libre arbitre conditionné. Olivier Véran, ministre de la santé français, appelle à un plan stratégique et je cite : «Nous voulons à tout prix éviter une troisième vague, qui serait celle de la santé mentale». Nombreuses sont les sorties médiatiques des psychiatres partout dans le monde. L’OMS, également, appelle à des stratégies de prise en charge. La pandémie «induit une cascade d’événements qui mettent en jeu les capacités de résilience collectives et individuelles autant qu’ils révèlent des vulnérabilités en particulier psychiques»… (OMS). Tout le monde est concerné : seniors, jeunes enfants, étudiants, salariés, familles en situation de précarité… tous les âges et profils. Mais surtout les bébés et les tout-petits ! Les pédopsychiatres sont unanimes et nous pouvons le palper dans les consultations de tous les jours. Les effets directs dans le développement futur ne sont pas des probabilités mais des certitudes. La pandémie modifie la relation sociale et donc leurs apprentissages.

Des enfants atteints de phobie scolaire, des ados addicts aux jeux vidéo, des étudiants se sentant enfermés dans ce tunnel, avec une recrudescence de troubles du comportement ou alimentaires. Ce lien social coupé ou affecté est largement plus pernicieux sur le plan développement, acquisitions et donc santé mentale que le fait d’être touché par le virus. La mortalité liée à la Covid est somme toute assez faible mais l’imaginaire collectif autour de la mort crée une anxiété maximale. La grippe est la disparue de cet hiver bien qu’elle tue sensiblement encore plus que la Covid. Mais l’imaginaire amygdalien et la peur sont mus par la Covid et pour se fuir fêtent l’amour de soi. Un soi qu’on pourrait perdre et qu’il faut nourrir à l’extrême pour le faire exister. L’amour dans la mort.

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