De grandes théories psycho-pédagogiques ont vu le jour dans le monde, notamment dans les années soixante et ont fait débat sur les meilleurs moyens d’optimiser l’éducation et de créer les conditions idéales à la formation à l’école. Les travaux et expériences de Frenet en France, de Maria Montessori en Italie, de Libres enfants de Summerhill en Grande-Bretagne, un chef-d’oeuvre en la matière, ou encore le champion toutes catégories sur le sujet, le Mexicain Ivan Illich avec son célèbre Société sans école , ont fait couler beaucoup d’encre. Un établissement scolaire de la périphérie de Casablanca, à son corps défendant, aurait pu constituer un cobaye idéal, dans ces expériences, si les conditions objectives avaient été réunies pour permettre aux spécialistes du monde entier et aux chercheurs les plus pointus d’effectuer des séjours de dépaysement dans cette unité. Comme à l’accoutumée, il existe toujours des initiés en matière de projets d’édification de bâtiments publics, ici et là, et des filières de spéculation et d’arnaques s’organisent autour des sites préposés à ce genre de projets. En l’occurrence, la décision était prise d’ériger un collège sur un terrain sur lequel se dressaient clandestinement quelques baraques, une dizaine environ, au moment où les plans de l’établissement avaient été approuvés et le calendrier des travaux bouclé. Mais du jour au lendemain un vrai bidonville a émergé sur les lieux avec des centaines d’habitants, des familles entières composées des trois générations classiques : les grands-parents, les parents et la marmaille, les poules, le coq au plumage rouge et à la crête fière, les deux biquettes en moyenne par famille, dont au moins une qu’accompagne un chevreau gambadant ; avec aussi et déjà des inimitiés et des rixes entre les familles, le petit dealer de service, le fou du village qui délire et que chauffent les gamins avec leurs quolibets, l’habituelle incendie au gaz butane, en somme la vie dans toute sa splendeur et sa crasse. Celle-ci parvient à son paroxysme avec un baron du coin qui, averti par ses réseaux intéressés de l’aubaine que représentait la spéculation foncière sur le terrain préposé à l’établissement scolaire, en vendit quelques dizaines de parcelles à des campagnards en mal de logement et, comme à l’accoutumée, il disparut au fond du canapé douillet du salon à verrière dans sa villa cossue. Procès en séries, décisions judiciaires, problème de relogement, pression pour construire l’établissement quand même, entrée des classes, premières pluies, premiers cours, les élèves et les habitants du bidonville ouvert sur l’école et le savoir pataugent ensemble dans la boue, les biquettes font normalement leur boulot : bêler, brouter dans les immondices alentour, donner la tête au petit et regarder ce fascinant rituel d’un adulte, debout sur une estrade qui apprend à bêler à une quarantaine d’adolescents, apparemment sourds à son art…