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Le bonheur impossible

© D.R

Viendra le temps où les nations sur la marelle de l’univers seront aussi étroitement dépendantes les unes des autres que les organes d’un même corps, solidaires en son économie.
Le cerveau, plein à craquer de machines, pourra-t-il encore garantir l’existence du mince ruisselet de rêve et d’évasion ? L’homme, d’un pas de somnambule, marche vers les mines meurtrières, conduit par le chant des inventeurs…»
René Char

Par Dr Imane Kendili
Psychiatre-addictologue

La perspective du bonheur semble possible, mais inatteignable. Dans ce sens que dans ce monde d’aujourd’hui, nous sommes appelés à faire plus que ce que les humains ont pu faire, durant les différentes périodes de leur grandeur et de leur décadence, pour espérer atteindre le bonheur, dans sa version la plus dépouillée et la plus incertaine. Il y a comme une fatalité du malheur qui s’est imposée à nous et au vivant au fil des âges. Comme si nous ne pouvions plus jouir de ce bonheur dont regorge la vie, mais qui nous reste interdit. Comme si nous n’avons pas su le défendre et qu’il soit devenu défendu. Autrement dit, durant notre petit parcours à l’échelle du vivant, nous nous sommes arrangés pour égarer notre faculté d’être heureux.

Et nous ne l’avons pas perdue en faveur d’un sentiment tragique de l’existence, qui nous plonge dans cet élan vers le malheur pour mieux sentir et notre présence et notre droit au bonheur. Non, il n’y a rien de tragique dans cette indigence face au bonheur. Mais il y a le drame basique de l’humain qui s’est perdu en cours de route. De l’homme qui ne sait plus être heureux. De l’homme qui a troqué cette capacité de jouir du miracle de la vie, pour tout ce qui l’avilit, pour tout ce qui le flétrit, pour tout ce qui l’appauvrit et le rend petit. Dans sa petitesse, il n’a plus d’élan pour atteindre à quoi que ce soit d’élevé. Il rampe désormais. Il a la pensée de la limace et l’élan du ver de terre.

Aujourd’hui, nous avons perdu notre capacité d’agir. Nous ne sommes plus les acteurs de nos destinées. Nous sommes des spectateurs qui n’ont pas encore atteint le stade du comparse. Dans notre résignation il y a une grande soumission à l’hésitation morbide et l’attente néfaste. «Une résignation, non pas mystique ni détachée, mais une résignation en éveil, consciente et guidée par l’amour, est le seul de nos sentiments qui ne puisse jamais devenir un faux-semblant.», écrit Joseph Conrad. Mais nous nous en sommes plus capables, parce que même le sentiment d’aimer est devenu un misérable faux-semblant. Comme une fatalité de ne pas pouvoir sentir. Comme si tout glissait sur une carapace faite de toutes pièces, qui a pris la fonction d’une espèce de forteresse contre la sensation, contre l’émotion, contre le sentiment d’aimer et d’aspirer à ces instants de bonheur qui émaillent une vie, comme des signes d’éternité.

Et il ne faut pas croire que ce sont là ces moments de passivité héroïque auxquels parfois même les plus vaillants d’entre nous finissent par se résigner. Non, c’est une paralysie face au bonheur. C’est une condamnation à exister coupées de ce fil qui nous lie à l’essence du vivant, c’est-à-dire le miracle de respirer et de faire corps avec la nature et le monde. Nous en sommes incapables. Cela ne fait plus partie de notre nature. Car «la vie, pour être vaste et pleine, devait, à chaque moment du présent, contenir le souci du passé et de l’avenir. Notre tâche quotidienne doit être accomplie pour la gloire des morts et pour le bien de ceux qui viendront après nous.», rappelle l’auteur de Lord Jim. La réalité est que nous n’agissons ni pour la gloire du passé ni pour les promesses de l’avenir, encore moins pour la dignité du présent.

Nous subissions le monde qui nous enserre. Nous sommes pris par les tenailles de notre vacuité face à la rouille du temps qui se passe de nous. L’Homme devient cette chose inutile qui, bientôt, ne pourra plus remplir sa fonction de simple consommateur. Joseph Conrad, auteur de l’action salvatrice, a écrit que : «L’action console. Elle est l’ennemie de la pensée et l’amie des illusions flatteuses. Ce n’est que dans l’action que nous pouvons avoir le sentiment d’être maître de notre destin. »

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