Chroniques

Le renseignement face à l’essor des criminels en col blanc

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Dans ses formes les plus raffinées, la criminalité en col blanc se réalise essentiellement grâce à l’interconnexion de trois milieux : le pouvoir politique, l’univers des affaires et les professionnels de l’escroquerie..

Dans notre société, le matérialisme et l’avoir semblent prévaloir de plus en plus sur l’être. Aux yeux de certains, quelqu’un qui roule dans une voiture luxueuse, qui habite dans un quartier chic et qui, en plus, est intellectuel, reste un individu nécessairement crédible. A vrai dire, ces arguments ne sont ni suffisants, ni déterminants pour apporter un jugement justifié, ni même pour dire que nous avons forcément affaire à une personne honnête et de confiance. Pourtant et depuis l’aube des temps, les apparences ont toujours charmé les gens. Mais attention : derrière les allures se cachent parfois des vérités inimaginables. En effet, on peut se retrouver devant ce que l’on appelle, en criminologie, un criminel en col blanc, c’est-à-dire quelqu’un d’apparence respectable et de haut rang social. Il peut s’agir, notamment, de politiciens corrompus, de hauts fonctionnaires, d’hommes d’affaires, d’industriels négligents, de grands commis de l’Etat mis à la retraite anticipée ou parfois même de personnes en faillite. Habituellement non violents, ces criminels d’élite cherchent, sans scrupules et continuellement, de nouvelles façons d’escroquer de l’argent, en volant impunément les gens et/ou, en détournant les deniers publics. Il convient aussi de noter que ces criminels ingénieux fréquentent souvent des cercles fermés pour développer un solide réseau de contacts. Ils sont généralement protégés grâce à une organisation bien élaborée de prête-noms, de sociétés-écrans et fictives, agencés parfois à l’échelle internationale. Ce qui permet à ces malfaiteurs de prendre le contrôle de certains secteurs clefs de l’activité économique, pouvant occasionner un danger potentiel pour l’ordre public ou la sécurité nationale. Ainsi, avec l’augmentation spectaculaire des crimes en col blanc, dont les enjeux sont de plus en plus complexes, l’action des services de renseignement devient plus qu’essentielle. Ceci est encore plus vrai car le véritable danger aujourd’hui réside dans l’avènement d’un nouveau paradigme, celui de la présentation d’une dimension organisée du crime en col blanc. Au fait, dans ses formes les plus raffinées, la criminalité en col blanc se réalise essentiellement grâce à l’interconnexion de trois milieux : le pouvoir politique, l’univers des affaires et les professionnels de l’escroquerie. Autrement dit, les mondes politique, économique et bureaucratique sont étroitement imbriqués, ce qui facilite à ces délinquants de faire jouer une règle contre une autre et de tirer tous les avantages associés à leur présence dans tel ou tel milieu. Dans une autre perspective et compte tenu du caractère transnational des défis à relever dans le domaine de la lutte contre ces crimes, une promotion de la coopération internationale et régionale devient de plus en plus importante.

Une réputation perdue ne se retrouve plus
L’on essaie de se construire une image séduisante et fortement rassurante pour gagner la confiance d’autrui, alors qu’au fond, il s’agit d’une réputation factice. Ne faut-il pas, dit-on, éviter de se fier aux apparences ? Au fait, on devrait juger une personne par la valeur personnelle dont elle fait preuve. Selon l’éminent professeur américain Avner Greif, «La réputation s’établit à travers le partage d’informations concernant l’individu et le jugement de ses qualités, telles que son honnêteté ou son respect de la parole donnée». Et je compléterais cette citation par celle du grand professeur anglais de psychologie, l’illustre Nicholas Emler, qui souligne, dans l’une de ses publications, que « la réputation est un instrument social propre à l’être humain et qui le distingue de toutes les autres espèces animales ». Finalement, la réputation se crée en fonction de vos actes et de votre façon d’agir sur le temps. On peut se tromper une fois, deux fois, mais que ça ne devienne pas une habitude, sinon on dira de ces personnes qu’elles jouissent d’une réputation qui les précède, en mal.

Comment enrayer la criminalité en col blanc ?
Certes, les services de la DGSN sont fortement impliqués dans la lutte contre la criminalité financière, à travers « le renforcement et le développement des techniques d’enquête pénale dans ce genre de crimes ». Cela se fait essentiellement à travers la BNPJ et les brigades régionales de la police judiciaire. Aussi et au-delà des interventions policières et des enquêtes judiciaires, les services de renseignement et les forces de l’ordre contribuent non seulement à dévoiler les activités criminelles, mais aussi à mettre sous les verrous les fonctionnaires et les politiciens corrompus, les blanchisseurs de capitaux et les mafias et réseaux criminels de tous genres.
Aussi pernicieux pour l’économie, pour la crédibilité des hauts dirigeants que pour la protection des intérêts souverains d’une nation, le crime en col blanc s’impose désormais comme un incontournable objet d’étude en renseignement. Outre ses multiples manifestations à portée transnationale, le crime organisé en col blanc est un exercice délicat sur lequel se penchent différents acteurs nationaux tels que la DGSN, la DGST, la DGED, la Gendarmerie royale et les FAR. A cet égard, une profonde réflexion devrait être menée par les hauts responsables de la défense et de la sécurité nationale pour l’élaboration d’une stratégie spécifique à la lutte contre la criminalité organisée en col blanc. L’on peut d’ailleurs s’imprégner d’un référentiel stratégique de l’ONUDC qui décrit un certain nombre d’approches, de capacités et d’instruments.
Peuvent également être associés à ce projet, notamment, les ministères de l’Intérieur et de la Justice, la présidence du ministère public, l’Administration des douanes et impôts indirects, l’Instance nationale de la probité de la prévention et de la lutte contre la corruption, ainsi que l’Autorité nationale du renseignement financier.
Ce qui permettrait un partage plus rapide d’informations tactiques et opérationnelles, à même de repérer les réseaux criminels et leurs processus commerciaux, et ainsi contribuer à la saisie de leurs avoirs.
Dans l’avenir, ne faudrait-il pas réagir plus sévèrement aux crimes économiques et aux graves conséquences que les crimes en col blanc ont sur les familles, le système de valeurs et l’ordre public? Ne serait-il pas non plus opportun d’intégrer des mesures législatives complémentaires et de mettre en œuvre l’article 54 de la Constitution pour opérationnaliser le Conseil supérieur de la sécurité, en tant qu’Instance nationale de concertation sur les stratégies de sécurité intérieure et extérieure du pays ?

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