Chroniques

Le Retour aux sources de Françoise Atlan

© D.R

En ce début d’année 2004, Marrakech connaît un léger répit après les fêtes de fin d’année, après que les amoureux de cette ville aient passé leurs vacances de Noël et de la Saint Sylvestre et sont repartis avec le regret de quitter un lieu favori et unique de repos. Mais les résidents sont là, et surtout ceux qui ont décidé d’y rester pour y vivre, chacun pour une raison à lui, une raison précise.
Parmi cette dernière catégorie, Françoise Atlan se trouve chez nous, cette artiste confirmée qui a choisi Marrakech comme un retour à la terre natale nord-africaine. Qui est donc cette jeune artiste qu’on peut qualifier, d’après ses propos, comme une « Marrakchia» ?
Son attachement s’est fait il y a déjà quelques années déjà, lorsqu’elle est venue chanter à la Mamounia à l’occasion de la Fête du Trône avec l’orchestre de Fès de Mohamed Briouel.
Françoise Atlan est née en France à Narbonne un certain 27 juillet 1964. Issue d’une famille séfarade d’Algérie (Kabilye), son père né à Bejaia est avocat, et sa mère pianiste et chanteuse. Alors, inutile d’expliquer l’influence que les parents ont eue sur la jeune fille par la suite de sa vie. Elle fait ses études primaires, secondaires et universitaires à Aix-en-Provence, pour terminer avec une agrégation de musicologie. Françoise me raconte que les romances judéo-espagnoles et arabes chantées depuis l’enfance et dont la critique unanime m’accorde à dire qu’elle en est l’interprète la plus authentique, constitue pour elle l’objet d’une recherche constante, doublée d’un attachement profond à la tradition juive séfarade. Déjà en 1983, elle est médaillée d’or dans la catégorie « Musique de chambre » et médaillée de Vermeil dans la catégorie « Piano », au conservatoire d’Aix-en-Provence.
En 1998, elle est lauréate du « Prix Villa Médicis, hors les murs », qui lui permet de travailler le répertoire arabo-andalou de la tradition de Fès « Ala » avec Mohamed Briouel, avec lequel elle vient d’enregistrer « Andalousyates » (Grand prix de l’Académie), entourée des meilleurs interprètes de cette tradition fassie. Cette année 1998, va être pour elle très riche en événements musicaux, puisqu’elle enregistre plusieurs disques, dont « Noches » (choc du monde de la musique). Par ailleurs, elle se produit un peu partout dans le monde : si Fès a été un grand repère, elle chante aussi à Tunis, au « Queen Elisabeth hall » à Londres, au Festival de Gibellina en Sicile, et au théâtre de Parme. Elle chante aussi en Espagne, au Portugal, en Suisse, Belgique, Norvège, Allemagne, Hollande, au Japon, aux Etats-Unis, en Israël.
Françoise fait des rencontres avec d’autres artistes tels Jean Carmona, grand guitariste de Flamenco ainsi qu’avec l’ensemble de musique ancienne Gilles Binchois mais aussi avec la Boston Camerata y interprétant les fameuses « Cantigas » du Roi Alfonse El Sabio (XIII siècle). Quelques années auparavant, elle se produit dans un répertoire de chants séfarades et en 1993, elle chante, invitée par le chorégraphe Lahcen Zinoun à Casablanca dans « La légende d’Islit et Tislit », cette belle histoire de deux amoureux que le Moussem d’Imilchil célèbre chaque année à la fin de l’été.
En 1994, elle sort « Entre la rose et le jasmin », qui reçoit le « Diapason d’or ». En 1999, son fameux album consacré à la « Nawba » avec l’orchestre de Fès de Briouel, héritier du maître Si Abdelkrim Raïss est encensé par critique.
En 2000, elle va interpréter et sortir « Chants des traverses » qui sont un récital parfait de la musique judéo-marocaine, entourée de l’orchestre Gharnati d’Oujda. Cette année-là, rappelons-nous, c’était l’année du Maroc en France où Françoise se produisit au « Festival de la musique andalouse » organisé par l’UNESCO à Paris et participe à la soirée de clôture du « Temps du Maroc » à Paris, à l’Opéra comique, en présence de Son Altesse Royale Lalla Meriem et le président Chirac.
Mais l’année 2000 sera pour notre chanteuse le passage au festival de Utrecht en Hollande, au monastère de Santander en Espagne, un Festival des musiques médiévales du Thoronet au théâtre de Rabat et Hot-Brass de Chicago. L’année précédente, elle fera l’expérience du gharnati au Festival d’Oujda. De ce dernier festival, elle dit : « Mes rencontres avec Ahmed Piro, grand maître du gharnati au Maroc, et Mohamed El Haddaoui, musicologue, m’ont permis de faire quelque chose qui m’est très cher, pour moi et mes origines. J’ai pu interpréter des chants judéo-marocains, ce qui m’a poussée à étudier ce style de chant».
Pour elle, ces chants « gharnatis » qui ont bercé son enfance auprès de sa famille judéo-arabe, ces chants judéo-espagnols qu’elle a entendus dans son entourage proche, épaulée par un musicologue nommé Sami Sadak, l’ont révélée à ce répertoire arabo-andalou-gharnati. C’est la découverte des croisements et parfois la similitude des traditions.
Françoise, cette première soprano du groupe Musicatreize est la chanteuse du groupe Aksak (révélation du printemps de Bourges 1993) et a fait beaucoup de passages radio et télévision, tels que France Culture et France Musique, pour des émissions judéo-arabes présentées par C. Bargine ainsi que « Les imaginaires » de J. M. Damian. Quand à ses passages télévisés, elle fait « le cercle de minuit » (France 2), par Michel Field.
En 1995, elle est l’invitée d’Eve Ruggeri « Musiques au coeur ». La chaîne « Mezza » retransmet son concert au Festival du Thanet, tandis que TV5 retransmet « Chants de traverses » donné au Trinon à Paris en 2000. C’est cette année-là que, lors d’un concert avec l’orchestre de Fès, la ceinture de son caftan se déchire et c’est alors qu’un musicien qui était assis juste derrière elle, lui a recousu (après avoir posé son « oud ») sans que personne ne s’en aperçoive, et pendant qu’elle continuait de chanter, cet ingrédient incontournable de la belle tenue traditionnelle marocaine. La finesse de son interprétation et sa clarté reflètent les influences des pays d’accueil de ces musiques qui ont tant voyagé. Françoise m’affirme qu’elle n’est pas une chanteuse puriste dans la musique arabo-andalouse mais qu’elle est au-delà des traditions pré-définies. Sa connaissance de l’univers andalou lui permet une expressivité totale : une synthèse de sa technique vocale et de sa sensibilité judéo-arabe.
Au Festival de Fès (2001), elle accomplit un travail magnifique dans cette ville phare de la tradition «Ala» auprès de son maître Mohamed Briouel.
L’apprentissage rigoureux de la Nawba de même que le travail avec l’orchestre d’Oujda, ville traditionnelle du gharnati ont permis à cette artiste de se révéler dans la dimension de sa double culture judéo-berbère. A Fès, ville de splendeur, du savoir-vivre et de culture, le mélange de la Nawba arabo-andalouse et des romances splendides ont composé son récital où le suc de l’extase esthétique se goûte une fois passées les portes dérobées du secret labyrinte de nos émotions. Elle a abordé un public avisé qui appréciait par des mouvements de tête et par le drapé de leur burnous.
Françoise Atlan ne prétend pas chanter « la » tradition, mais en toute humilité et en la respectant, elle désire lui apporter une autre dimension. La collaboration précieuse avec Briouel de Fès est un merveilleux aboutissement, une réunion de l’Histoire entre Musulmans et Séfarades.
Je lui ai demandé de me parler du Festival des Alizés d’Essaouira auquel elle a participé en 2003. «Ce festival a réuni les meilleurs voix montantes du Maroc, qui ont reçu un enseignement, et a permis de donner trois soirées superbes où l’on remarque les énormes potentialités au Maroc, en ce qui concerne les jeunes chanteurs. Ce qui était merveilleux, ce sont les concerts gratuits qui ont attiré grand nombre de gens ». N’est-ce pas magnifique une femme drappée dans son haïk écouter les mélodies de Strauss ??
C’est aussi la Fondation des trois cultures qui lui a confié la direction d’un choeur de jeunes chanteurs marocains et espagnols, et le premier concert a eu lieu le 4 janvier de cette nouvelle année, à Rabat.
Pourquoi Marrakech lui demandais-je : « Je suis originaire d’une famille berbère judaïsée et Marrakech me rappelle mes origines par la proximité du désert, et de l’Atlas. Mes parents ayant quitté l’Algérie avant ma naissance, j’ai été privée de cette connection avec la terre natale nord-africaine. Ici, c’est pour moi comme une réparation de ce départ précipité, vécu par ma famille. Je noue et récolte les morceaux ». Puis, elle me raconte qu’elle a envie d’aller à l’opposé de Fès, qu’elle a adorée.
Comme pour Fès, Marrakech a ses portes. « En arrivant à Marrakech, je cherchais une clé, et j’ai trouvé un trousseau ! ». L’artiste est connectée avec le réel, elle trouve ce à quoi se rattacher, un havre de paix, de ressource et de repos. Et le Maroc, dans tout cela ? « C’est un pays extraordinaire pour plusieurs raisons et en particulier grâce à la politique éclairée de Sa Majesté le Roi Mohammed VI. Je me sens à l’aise et je ne revendique que le droit d’être humaine. Je n’oublierai jamais ce que SAR Lalla Amina m’avait dit « mon père Mohammed V vous a toujours protégés et vous êtes ici chez vous ». Quand je suis venue pour la première fois au Maroc, j’étais enceinte de 7 mois, ça a été le déclic. Ici, on est prêt de tout spécialement à Marrakech : le désert, la montagne, l’Afrique et je suis une berbère en quête d’identité, mais je ne veux pas de réponse… » Après son passage triomphal au Carnegie Hall à New York en septembre 2003 dans «Andalousyates », elle se « pose » dans la ville ocre, et me raconte qu’elle entre dans une phase de création, alors qu’elle n’était qu’interprète. Marrakech me donne envie de créer. Chose faite avec « Nawah », qui vient de sortir en duo avec le chanteur palestinien Moneim Oudwan. Dernièrement, elle a chanté à Madrid pour la « Fondation Peres pour la paix », avec l’ochestre d’Oujda, pour la construction d’un hôpital en Palestine, en présence de notre ministre M. Achaâri et de nombreuses personnalités espagnoles. Bravo Françoise, ta voix et ton art ne reflètent que cette conscience de tolérance, de respect de l’autre et la perception d’un monde libre et harmonieux. Je suis sûr que si tu es restée à Marrakech, c’est parce que tu l’as ressenti et c’est vrai, alors, un seul mot pour toi : Bienvenue chez toi.

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