C’est elle, et uniquement elle, qui décide de ce qui est bien et ce qui ne l’est pas. Et les moutons n’ont qu’à suivre! Chose qu’ils font avec beaucoup d’enthousiasme et de soumission.
C’est peut-être cela la nature humaine. Pas réellement très éloignée de celle des moutons suiveurs. Il lui faut toujours un esprit fort, têtu, intransigeant ou même tyrannique, pour lui dire ce qu’il faut et ce qu’il ne faut pas apprécier. Et lorsqu’une œuvre, même majeure, n’a pas la chance d’être appréciée par un «guide», le public met un temps fou à y réagir.
Quand l’immense poète et chanteur Leonard Cohen a sorti son album «Various positions» en 1984, CBS n’avait même pas pris la peine de le sortir aux États-Unis. Vingt ans plus tard, l’album était considéré comme l’une des œuvres maîtresses de l’artiste! C’est donc ainsi! Le temps de réaction du public peut atteindre des décennies. Même lorsqu’il s’agit d’une star universelle telle que Leonard Cohen, le travail peut mettre vingt ans à atteindre les consciences…
Lors d’un meeting Dada, André Breton avait porté, comme un homme-sandwich, une affiche préparée par Francis Picabia et sur laquelle on pouvait lire : «Pour que vous aimiez quelque chose il faut que vous l’ayez vue et entendue depuis longtemps tas d’idiots.»
Ce long temps de réaction est dû au fait que, souvent, le public cherche l’originalité là où elle n’est pas. Il la cherche là où il pense qu’elle devrait être. Là où les guides du bon goût lui disent qu’elle devrait être. Aujourd’hui, le public amateur de peinture par exemple, pense que l’originalité se trouve dans les gribouillis sans cesse épurés et de plus en plus prévisibles que des artistes, parfois sans histoire intérieure, étalent au grand jour. On concentre toute son attention sur ce qui est censé être de l’art et l’on oublie de regarder, d’observer la créativité réelle, qui peut se trouver ailleurs. L’originalité est justement ce qui est inattendu, imprévu. C’est ce qui ne ressemble pas aux courants pseudo-créatifs. On passe ainsi à côté d’un grand nombre de merveilles de l’art et des esprits humains –qu’on redécouvre plus tard, avec un peu de chance. Il s’agit d’observer l’ensemble de ce qui entoure une œuvre pour avoir une chance de la détecter. Observer l’œuvre, mais aussi la démarche, les avis et la vie elle-même de l’artiste. C’est seulement de cette manière que l’on permet aux artistes inventifs d’être eux-mêmes, fiers de ce qu’ils créent, de qui ils sont et de ce qu’ils représentent. Car il existe pour l’artiste une liberté singulière dans le fait de dire simplement : Ça c’est moi ! Avec toutes mes forces et mes faiblesses. C’est ça ce que je suis et pas autre chose! Et c’est cela que j’ai de réellement d’authentique à vous donner!