Il n’est pas aisé pour la France de tenter d’obtenir un équilibre parfait entre les intérêts de Rabat et ceux d’Alger. Pourtant, avec un regard extérieur éclairé, Paris peut bien se livrer à un exercice d’équilibriste réussi, sans froisser ses relations avec aucun de ses partenaires maghrébins.
Tournons la page diront certains observateurs car les relations entre le Maroc et la France ont atteint un point de non-retour, marqué par une série d’événements, dont notamment : la fin du monopole français dans la réalisation des prochaines lignes de train à grande vitesse au Maroc, suite à une rude mise en concurrence (Allemagne, Espagne, Chine, Corée du Sud), une limitation du recours à l’expertise française pour traiter certaines questions stratégiques, une longue vacance du poste d’ambassadeur du Maroc à Paris, un passage progressif d’un système francophone vers un système anglophone. Ces initiatives ont certes permis d’amorcer un changement d’état d’esprit, mais il n’est pas non plus exagéré de dire que la conséquence de tout cela, c’est que la France a trop tardé pour apporter une réponse concrète à une question cruciale pour le Maroc, alors que ses principaux alliés européens que sont l’Espagne, l’Allemagne, l’Italie, le Portugal, la Hongrie, la Roumanie et les Pays-Bas – pour ne citer que ceux-là – soutiennent, clairement et fermement, le plan marocain d’autonomie au Sahara qu’ils considèrent comme étant la seule et unique solution à ce conflit fictif. Aujourd’hui, 80% – si ce n’est plus – des pays membres de l’ONU adhérent à la position du Royaume chérifien.
En vain, cette remarquable adhésion internationale constitue un important pas en avant, réconforté, dernièrement, par la décision d’Israël, en tant que partenaire clef et stratégique de Rabat, de joindre sa voix à celle de cette écrasante majorité des Etats en faveur du Maroc. S’y ajoute la réitération des USA dans leur soutien à l’initiative marocaine d’autonomie. Que l’on tienne compte de la crédibilité et de la clarté de cette position dominante adoptée par la communauté internationale et que l’on reconsidère les bénéfices stratégiques et mesurables que la France pourrait gagner à travers sa reconnaissance de la souveraineté marocaine sur ses provinces du Sud.
Les paroles passent, les écrits restent
Le discours prononcé tout récemment, à l’occasion de la célébration du 14 juillet, par l’ambassadeur français à Rabat, Monsieur Christophe Lecourtier, est à la fois beau, facile à écouter et laisse présager de bonnes choses pour l’avenir des relations maroco-françaises. D’ailleurs, l’allocution du diplomate de haut rang, prononcée lors de cet événement, est pleine de signaux forts, dont quelques extraits – ci-après – qui traduisent un puissant désir de changement: «Nous sommes dans une situation où un pays devenu autonome et sûr de lui-même et qui pèse désormais dans l’échiquier régional, exige qu’on le traite en tant que tel sans qu’on ne le voie de haut…
Le Maroc est toujours un partenaire essentiel pour l’Europe et particulièrement pour la France». Cependant, malgré les déclarations élogieuses et de bonne intention de son Excellence Monsieur l’ambassadeur, on sait bien l’importance de ce qui est écrit par rapport à ce qui ne l’est pas: les paroles passent, les écrits restent, dit le dicton.
Autrement dit, si les jolies paroles prononcées à la résidence de France à Rabat n’allaient pas être traduites en actions concrètes le plus rapidement possible, n’espérons pas que les choses se régleront par elles-mêmes ou de façon magique. Pour ouvrir une nouvelle page de l’histoire avec Rabat, la France devrait sortir de son mutisme et ne pas se réfugier derrière un silence complice. Comme il est inconcevable de vouloir démembrer la France, en lui dérobant l’une de ses douze régions métropolitaines, il serait totalement impensable de s’imaginer un Maroc sans son Sahara.
Quant au prétendu polisario, il s’agit d’un groupuscule terroriste qui s’enracine petit à petit au Sahel et qui représenterait, à l’avenir, une menace profonde pour l’Algérie. La sagesse étant plus enseignée par un exemple vivant que par le fait d’en parler, j’évoquerais la révolte du groupe Wagner qui s’était retourné violemment contre la Présidence russe.
Le Maroc est inéluctablement un allié de poids pour la France
La France traverse une grave crise politique et sociale à une période où le Maroc reste un partenaire idéal disposant de tous les atouts pour transformer les défis en opportunités et ainsi, lui offrir un énorme soutien dans ses politiques nationale et internationale. Rabat peut beaucoup apporter à Paris: une expertise pointue et unique en matière d’encadrement et d’instruction religieuses, des conseils pertinents, loyaux et fiables pour un éventuel rebond de sa politique en Afrique, compte tenu de sa forte influence dans son continent (3ème place des pays africains avec le plus fort soft power à l’échelle mondiale, selon le classement annuel Global Soft Power Index 2023 des nations les plus influentes au monde – publié par le Cabinet britannique de conseil Brand Finance).
N’oublions pas non plus que 12% des étrangers résidents en France sont nés au Maroc, que le réseau français au Maroc comporte près de 48.000 élèves, que la première communauté étudiante étrangère en France s’élève à environ 46.000 étudiants marocains ; que les Français, d’origine marocaine, sont devenus des piliers incontournables dans plusieurs secteurs stratégiques en France. Rien qu’à lire l’une des récentes chroniques de Tahar Ben Jelloun lors de son passage à l’hôpital Lariboisière, dans le 10ème arrondissement de Paris. Ainsi, suite à une série de contrôles médicaux réalisés dans cet établissement, l’écrivain, lauréat du Prix Goncourt en 1987, constate que la quasi-majorité des compétences y exerçant la médecine sont marocains.
Il suffit de porter un regard prospectif sur le monde
Depuis de longs mois déjà, tant d’encre, à couleur changeante, continue à couler dans la presse, nationale et française, au sujet des divers types de distorsion existant dans le cadre des relations entretenues entre Rabat et Paris. Je crois, qu’au stade où nous en sommes, les importants efforts et initiatives déployés témoignent, dans une certaine mesure, de la volonté commune des deux pays d’agir pour apporter des changements positifs. C’est là un débat récurrent et qui revient régulièrement à l’ordre du jour dans les cercles politiques, diplomatiques, universitaires et médiatiques. Pour aller à l’essentiel, je dirais que la France commence à prendre conscience de la nouvelle situation géopolitique qui caractérise le monde. Dans cette même perspective, de plus en plus d’hommes politiques français, de toutes tendances confondues, ont bien compris que les Marocains étaient sérieux et qu’ils ne ménageront pas le moindre effort pour un réchauffement de leurs relations avec Paris tant que celle-ci n’aie pas encore reconnu la marocanité du Sahara.
Soyons sincères, clairs et critiques entre nous: la situation ne se rétablira pas d’elle-même. En vain, l’écart entre le Maroc et la France risque de se creuser davantage si le Palais de l’Elysée ne tranche pas sur la question de la marocanité du Sahara ; ce qui serait vraiment dommage pour ne citer que deux principales raisons parmi tant d’autres, à savoir les échanges commerciaux entre les deux pays qui ne cessent d’augmenter ou encore la coopération militaire bilatérale qui s’est révélée excellente et productive. Si le Maroc est réellement un allié de poids pour la France, il est peut-être temps pour Paris de sortir de son silence et de s’inspirer de la décision de l’Etat hébreux pour trancher, elle-aussi, cette question en faveur du Maroc.
Par Lahrach Yassir
Docteur en droit/Expert en Intelligence économique
Analyste en stratégie internationale/Auteur du concept d’intelligence diplomatique.