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L’intelligence économique s’infiltre dans la culture étatique : bonne ou mauvaise chose ?

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L’Intelligence économique (IE) poursuit, à petits pas et silencieusement, son chemin pour être reconnue, en tant que vraie compétence, non plus uniquement par des acteurs économiques, mais ambitionne de devenir une véritable politique publique, au service des Etats, n’importe où dans le monde.


Bonne ou mauvaise chose ? Telle est la grande question à laquelle nombreux pays ont répondu favorablement, mettant en avant tous les bienfaits de l’IE : pour la plupart, après expérimentation de cette démarche et pour d’autres, en menant des réflexions et des recherches approfondies pour mesurer la pertinence de ce concept.
L’intelligence économique, s’appuyant sur des méthodologies issues du terrain, constitue un réel avantage, mais à condition qu’une telle démarche se construise sur un véritable dispositif national, pour bénéficier du soutien des décideurs étatiques et pour profiter d’une large communauté stratégique de connaissance.
Indépendamment de l’IE, il existe d’autres méthodes, pour avoir une vue globale des enjeux et pour mener des analyses stratégiques pertinentes, en vue d’éclairer les dirigeants, pour une meilleure prise de décision.
Il suffit de dégager les avantages et les inconvénients de chacune de ces différentes approches, pour tirer le meilleur de chacune d’elles.
Ceci dit, le recours à l’IE par un Etat ne peut être qu’un véritable atout, à condition d’être couplée à d’autres méthodes et pratiques de terrain, reconnues pour leur efficience et demeurant d’actualité.

Intelligence économique et culture étatique
Beaucoup d’organismes, étatiques ou non, font de l’IE sans même le savoir, alors que d’autres s’en réclament sans pour autant remplir les prérequis nécessaires pour l’adoption d’une telle approche.
En l’absence de tout texte légal ou réglementaire définissant le concept d’intelligence économique ou de toute structure nationale chargée d’IE, il semble être compliqué d’introduire une telle culture au sein des différentes enceintes étatiques.
L’élaboration d’une politique publique d’intelligence économique devient un besoin réel de la plupart des pays, surtout qu’il a été démontré, à maintes reprises, que l’IE est un principe de gouvernance pour les Etats, comme pour le secteur privé.

Le 20 mai 2022, le ministère des affaires étrangères, de la coopération africaine et des Marocains résidant à l’étranger a lancé, au niveau du portail électronique des emplois publics (https://www.emploi-public.ma), un concours pour le recrutement de quinze conseillers, autorisant des candidats titulaires d’un Master, d’un Master spécialisé ou d’un diplôme équivalent dans différentes spécialités, y compris en intelligence économique.

Certes, ce n’est pas une première au niveau du paysage étatique national car le ministère de l’industrie, du commerce et de l’économie verte et numérique avait déjà organisé, l’année écoulée (07 mars 2021), un concours de recrutement de dix administrateurs, dans lequel l’«intelligence économique» figurait, bel et bien, parmi les spécialités recherchées, alors que deux ans auparavant (21 avril 2019), ce même département lançait une offre similaire, mais en l’absence de tout besoin en la matière.
Ce qui démontre déjà que des autorités gouvernementales – et non des moindres – commencent à manifester un certain intérêt par rapport à l’IE.
Il devient nécessaire pour le gouvernement de lancer un véritable chantier national par rapport à cette question, pour identifier les réels besoins des différents départements en matière d’IE : S’agit-il d’un métier spécifique de l’IE ou bien sommes-nous dans un besoin d’utilisation de l’IE dans des métiers classiques ou d’innovation ? Avions-nous identifié les différents métiers de l’IE qui apporteraient un avantage certain au pays ? Quels sont les ministères ou administrations qui recourent déjà à l’IE et pour quels métiers ? Y a-t-il, aujourd’hui, suffisamment de formations ou de programmes universitaires nationaux d’excellence en matière d’IE qui permettraient d’alimenter l’Etat en ressources qualifiées ? Y a-t-il un état d’esprit et de culture favorables au sein des organismes étatiques ?

Intelligence économique et diplomatie
Ordinairement, les ministères des affaires étrangères sont tenus de jouer un rôle crucial en matière de diplomatie économique, en veillant, notamment, à soutenir les entreprises dans leur développement international, de favoriser les investissements étrangers créateurs d’emplois sur le territoire national, ou encore d’orienter certaines normes et réglementations continentales ou internationales, pour servir les intérêts économiques de leurs pays.
De même, les ambassades et le corps diplomatique accrédité à l’étranger sont appelés à dynamiser les relations économiques avec les pays hôtes.
De manière générale, l’intelligence économique prend racine, sereinement, dans plusieurs disciplines (droit, économie, sciences politiques, sciences de gestion, sciences de l’information et de la communication, etc.) et intéresse autant les organisations privées que publiques, confrontées à un environnement international à la fois compétitif et flou.

Au sein de l’entreprise comme au sein de l’Etat, la culture de l’IE semble souffrir par son caractère transverse, dans un monde commandé par des structures en silo.
Toutefois, son approche s’adapte parfaitement aux exigences de l’ère numérique et de la gestion des données.
L’intégration de la diplomatie dans le cadre d’un dispositif national d’intelligence économique s’impose aujourd’hui plus que jamais. Ce qui permettrait au ministère des affaires étrangères de contribuer au renforcement de la présence des opérateurs marocains à l’étranger.
En vue d’assurer la souveraineté économique du pays et l’indépendance nationale dans un environnement international de plus en plus compétitif, l’intelligence économique devient, inéluctablement, un principe de gouvernance diplomatique pour les Etats, particulièrement, en sortie de crise.

Intelligence économique et synergies public-privé
Management de l’information ou des connaissances, protection juridique du patrimoine informationnel, matériel et immatériel, promotion d’une sécurité économique, déploiement de stratégies d’e-réputation ou de lobbying constituent quelques sujets pris en charge par l’intelligence économique.
Pour assurer un réel développement des PME et de l’économie et dans le cadre de l’amélioration de l’action publique, il est, respectueusement, recommandé au gouvernement actuel de se doter d’une politique publique d’intelligence économique (PPIE), ce qui stimulerait davantage les partenariats public-privé et renforcerait la confiance entre différents secteurs.

A une ère où l’on assiste, de plus en plus, à une dynamique de privatisation, caractérisée par la transformation d’acteurs étatiques en acteurs privés, prenant en charge des domaines stratégiques de politiques publiques, principalement économiques ou sécuritaires, un bon fonctionnement des écosystèmes favorables au développement du pays devient tributaire de la mise en place d’une PPIE, permettant d’établir une distinction, notamment, entre objets et finalités, information et action, fonction opérationnelle de renseignement et politique de compétitivité.
Certes, l’on retrouve, par-ci, par-là, des dispositifs de veille et de pratiques d’IE, mais leurs contours ne sont pas tout à fait clairs.
Il est donc temps de procéder d’une part à une délimitation des contours de l’intelligence économique entre secteurs public et privé et d’autre part, de sensibiliser citoyens, administrations et entreprises, autour d’une réelle culture dans ce domaine.

Docteur en droit/Expert
en intelligence économique
Analyste en stratégie internationale/Auteur du concept d’intelligence diplomatique

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