Chroniques

Médiocratie

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La société, par voie du régime en place, s’est autoproclamée exécutrice de la décision de tous, sans demander l’avis de tous justement, mais en s’appuyant sur des lois et des règles qu’elle a promulgués et qui font office de charte sociale qui a droit de vie et de mort sur tout le monde.

C’est si évident que nous le vérifions à chaque drame social, à chaque soulèvement des popu- lations écrasées par les régimes oppressifs déguisés en fausse démocratie. Les États occidentaux ont trouvé dans les citoyens eux-mêmes des alliés pour limiter, voire annihiler, les libertés des individus. Ils ont réussi ce tour de force, somme toute prévisible, de diviser la société en plusieurs couches, pour mieux les cerner. Ils ont également remonté chaque strate contre les autres en créant des fossés sociétaux et culturels entre elles générant l’envie, la colère, la rage, le sentiment d’inégalité, l’injustice et l’oppression. Le modus operandi est simple : plus les ascenseurs sociaux sont difficiles à atteindre, plus l’écrasement fonctionne, au point qu’une large majorité accepte sa condition et s’en contente, sans jamais plus penser sortir de son isolement social pour franchir un nouveau palier et connaître d’autres modalités de vie en groupe, avec l’espoir pour moteur et la certitude de la possibilité de changer sa vie et donc d’avoir un réel impact sur ce que l’on appelle destin. Avec ce droit que s’arrogent les États d’exclure, de sanctionner, d’exiler intérieurement les gens avant de les chasser de la communauté soit pour la prison, soit pour la rue, sous les ponts, soit vers l’asile. Étienne de Senancour écrivait dans « Oberman » : «Si je n’ai point sur moi-même le droit de mort, qui l’a donné à la société ?»
La société, par voie du régime en place, s’est autoproclamée exécutrice de la décision de tous, sans demander l’avis de tous justement, mais en s’appuyant sur des lois et des règles qu’elle a promulgués et qui font office de charte sociale qui a droit de vie et de mort sur tout le monde. Dans la foulée, on oublie l’un des principes fondamentaux de la vie en société. Ce ne sont pas les êtres humains qui composent une communauté, mais bel et bien les relations qu’ils établissent entre eux, tout en gardant leur principe d’individuation, qui doit être placé au-dessus de toute forme de morale. Ce qui donne raison à François de la Rochefoucauld qui affirmait dans ses «Maximes» que «Les hommes ne vivraient pas longtemps en société s’ils n’étaient les dupes les uns des autres». Évidemment, toute société, pour se maintenir et vivre, a besoin absolument de respecter quelqu’un et quelque chose, de respecter le principe de liberté de tous, de respecter la dignité humaine et la dignité de la vie. Sans cela la société est construite sur un principe tronqué, celui d’obéir et de respecter l’État, le régime, la religion, la morale ambiante qui fait office de garde-fou et d’effaceur des libertés, puisque tout le monde doit adhérer à une pensée unique qui ne souffre aucune variété ni variation. Aujourd’hui l’exemple qui est donné est dangereux et ne respecte justement aucune morale humaine émanant de l’acceptation des autres et de la volonté de partager avec tous les autres un territoire commun de vie selon une vision qui converge vers un objectif commun, mais nourrie par d’infinies approches de cette même vie en société. Ce que nous nommons aujourd’hui des nations se construisent en inculquant aux citoyens la peur et la méfiance des autres: «Une nation est une société unie par des illusions sur ses ancêtres, et par la haine commune de ses voisins», lit-on chez William Inge. Le dramaturge américain ajoute à juste titre que «le commandement «Croissez et multipliez» a été promulgué, avec l’accord des autorités, au temps où la population était composée seulement de deux personnes». L’illusion du passé toujours glorieux, malgré toutes les horreurs de l’humanité entre guerres et génocides, entre barbarie et oppression et asservissement des autres, est constamment mise en avant, alors que l’histoire de l’humanité est bâtie sur le sang, mais à matraquer le contraire en continu et en boucle, à en remplir les livres de l’histoire officielle, une large majorité croit que c’est cela la vérité.
Ensuite il y a l’impératif de la multiplication et de la croissance, devenant de plus en plus nombreux, pour dépasser largement ce que cette même société peut supporter, engendrant l’urgence de dégraisser, de réduire dans le tas, de faire en sorte que le nombre décroisse, par tous les moyens possibles : la guerre, les invasions, les génocides, les pandémies.
Tout y passe, à grands renforts de morale de pacotille, conçue pour faire passer la pilule amère du trop-plein et de la coupe budgétaire à échelle planétaire. Résultat : des sociétés malades, des sociétés disloquées, des sociétés fragiles, des sociétés en sursis, avec uniquement deux catégories qui survivent. Jacques Sternberg écrivait dans «Dictionnaire des idées revues» qu’«il n’y a que deux catégories dans la société moderne : les vendus et les invendables». Ces derniers sont une petite minorité qui veut encore lutter pour la liberté et pour le salut de tous par la différenciation refusant d’être un simple numéro sur une carte, une pâle copie de tous les autres. Mais cette volonté libertaire se confronte à tous les dangers. On en fait une cible de choix pour semer l’angoisse au sein du groupe et démontrer à tous que le régime en place fait tout pour assurer la sécurité des populations face à ce danger porté par tous ceux qui ont une autre vision du vivre-ensemble. C’est à cela que sont réduites toutes les sociétés modernes quelles que puissent être leurs fondements politiques, moraux ou religieux. Après des millénaires de cheminement, avec l’expérience de centaines de types de société toutes aussi différentes les unes que les autres, par accoucher d’une société de l’intérêt, de l’opportunité et du raccourci : «La société n’est qu’un jeu où chacun a un but séparé, des intérêts à part, un plan à faire réussir», disait Lord Byron.

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