J’ai failli titré cette chronique : «Les musulmans peuvent-ils être des démocrates ?», et je me suis très vite rétracté. Si j’ai renoncé ce n’est pas du tout parce que le sujet est trop sensible, mais parce que tout simplement je ne le maîtrise pas du tout.
Si je peux prétendre sans prétention connaître quelques notions de démocratie, du moins dans sa version originale, appelée souvent péjorativement «occidentale», je ne me sens expert ni en Islam ni en musulmans.
Pourtant, mises à part quelques années où je me suis un peu baladé ailleurs, j’ai toujours vécu en terre d’Islam et avec les musulmans ou, pour être plus précis, ceux censés l’être. Bref. Je pense que vous avez sûrement compris que si j’ai voulu aborder cette question aujourd’hui, c’est parce qu’elle est brûlante d’actualité, mais aussi parce que tout le monde, des plus ignorants au plus érudits en passant par les plus naïfs, tout le monde a son mot à dire, et il n’hésite pas de le dire.
D’ailleurs, c’est simple, depuis quelques jours, on ne parle que de ça. Et «ça», ce sont deux choses : d’un côté, ce qui s’est passé et qui se passe toujours chez nos amis égyptiens, et de l’autre côté, ce qui va se passer chez nous, mais qui ne se passe pas encore. Justement, le hasard qui est souvent bizarre a fait que ces deux évènements historiques ont eu lieu en même temps au point que certains se sont mis à craindre qu’ils se passent en un même lieu.
Je vais essayer de synthétiser sans être trop réducteur : alors qu’en Egypte, le Président de la République, démocratiquement élu, a été évincé par le pouvoir militaire pour, lui-a-t-on reproché, «dérive autoritaire», au Maroc, c’est le chef de gouvernement, légitimement nommé, qui est appelé à recomposer son équipe pour cause de fuite en avant et de mécontentement de quelques uns de ses éléments.
La raison invoquée des «fuyards mécontents» est presque similaire à celle invoquée par les militaires égyptiens, toute chose étant incomparable par ailleurs. Justement, depuis le début, on n’arrête pas de comparer, alors que comparaison est rarement raison. Moi, j’ai réfléchi un peu– ça m’arrive de temps en temps – et voici mes conclusions : tout ce qui est en train de se dérouler en temps réel sous nos yeux, que ce soit en Egypte, en Tunisie, en Syrie, au Maroc et ailleurs, n’est qu’un immense chantier de construction de cette abstraction encore si abstraite dans nos esprits fumeux et archaïques et qu’on appelle depuis la nuit des temps et le temps des lumières : LA DÉMOCRATIE.
J’appelle ça un chantier, et je n’ai rien inventé, parce que pour bâtir une nouvelle cité où il fait mieux vivre, il arrive qu’on n’y arrive pas du premier coup, et qu’il faut alors revoir ses plans, réétudier ses matériaux, voire parfois changer ses architectes ou ses chefs de chantier, l’essentiel c’est de finir par arriver à construire quelque chose de durable. Il ne faut jamais se presser.
Et c’est valable sur la terre entière. Je sais que pour certains je risque de passer pour un philosophe de dimanche ou pour un penseur de ramadan, mais je suis persuadé que bon nombre d’entre vous ont tout-à-fait pigé où je veux en venir : la démocratie est une fatalité historique; elle est applicable partout et pour tous ; et il faut du temps pour la mettre en place à condition que tous s’y mettent. Maintenant, les coups de crosse et les jérémiades des uns ou bien les coups de freins et les railleries des autres, ce n’est pas ça qui arrêtera la marche inéluctable de la démocratie.
Ici comme ailleurs. Quant à l’Islam, et les religions, laissons-les là où il sont très bien : dans les lieux de culte et dans les cœurs des croyants. Et quelle belle transition que de vous souhaiter de nouveau à tous et à toutes un très bon ramadan et une très belle démocratie. Dites amine.