Nous sommes en plein mois de ramadan, et que vous jeûniez ou pas, moi ça ne me regarde pas. En tout cas, à partir du moment où vous vivez ici et maintenant, vous êtes dans l’obligation de faire comme les autres ou mieux encore, de vivre comme eux. C’est l’esprit communautariste dans toute sa splendeur et dans toute sa rigueur. Avant de poursuivre, je vous prierais de me croire si je vous disais qu’au fond, je n’ai rien contre le ramadan, ni contre aucun autre mois lunaire d’ailleurs.
J’ai vécu une bonne partie de ma vie ici et je sais parfaitement ce que c’est que de jeûner, et surtout de vivre avec des jeûneurs à longueur de journée, et surtout quand ces journées sont aussi longues et aussi torrides que celles de ce ramadan.
Alors quel est mon problème ? Et bien, je vais vous le dire au risque d’en choquer quelques-uns et même quelques-unes. Mon problème c’est que pour ce mois de ramadan-ci, j’ai comme l’impression de revivre le même que celui de l’année dernière, mais en pire encore. Je vais essayer d’être plus clair, autant que faire se peut dans ces circonstances de privation extrême et cette chaleur de saison, d’accord, mais que j’aurais souhaité un peu plus clémente, ne serait-ce que pour que je puisse mieux réfléchir et, par conséquent, mieux vous clarifier ce que j’ai envie de vous expliquer et que j’ai d’ailleurs oublié… Attendez… ça me revient.
Je vous disais donc que ce ramadan allait être pire que les précédents qui, déjà n’étaient pas mieux. Attention ! Je ne porte aucun jugement de valeur ou autre sur le caractère hautement sacré de ce mois que je respecte plus que tout autre, mais là n’est pas mon propos. Au fond, le pauvre ramadan n’y est pour rien dans cette affaire. Car, ce n’est quand même pas le ramadan qui nous dicte de nous lever le matin du mauvais pied du pieu – ça, c’est pour tout le monde – de ne pas nous raser pour paraître plus pieux – ça, c’est pour certains mecs – ou de fourguer une djellaba sombre et un foulard lugubre pour «nous protéger» – et ça, c’est pour certaines femmes qui se reconnaîtront et qu’on reconnaît d’ailleurs facilement dans la rue. Je continue : ce n’est pas non plus le pauvre ramadan qui nous ordonne de ne pas faire le moindre effort pour faire au moins le boulot pour lequel nous sommes payés, qui nous somme d’appuyer bêtement sur le klaxon dès la seconde où le feu passe au vert ou dès qu’un maladroit passant s’évertue de vouloir passer sur le passage qui lui est légalement dédié.
Ce n’est enfin, encore une fois, et à ma connaissance, pas le ramadan qui nous pousse à nous bousculer dans la rue et à nous engueuler comme dans une mutinerie, et à refuser de respecter la logique de la queue qui n’est pourtant pas difficile à comprendre: premier arrivé, premier servi. Vous allez me dire que tout ça n’est pas nouveau et qu’à chaque nouveau ramadan, c’est toujours comme ça. Non ! Car, cette année, nous avons, en plus, la Coupe du monde.
Et oui. Ça change tout. Parce que, mesdames et messieurs, entre la douleur de la faim, le calvaire de la soif, le boulot qu’on n’a pas envie de faire, les courses qui coûtent de plus en plus cher, le thermomètre qui chauffe du crâne, les prières qu’il faut assurer pour paraître ou.. pour le fun, et, enfin, les bons matchs qu’on n’a pas envie de rater mais qui tombent justement au moment de ces prières, dites-moi, je vous prie, qu’est-ce qu’on doit faire ?
Et j’ai laissé le meilleur et le fin du fin pour la fin : les programmes de la télé. Oui, je sais que c’est bateau comme sujet, et que c’est donné au premier gratte-papier d’en parler, mais ce n’est pas une raison pour me la fermer. Cela dit, quand je réfléchis bien, je me dis que je ne devrais rien en dire. En effet, personnellement, je ne me faisais aucune illusion car, comme je l’ai dit partout, les mêmes causes produisant les mêmes effets, que pouvait-on attendre de mieux? Et là aussi, je vous jure que le pauvre ramadan n’y est absolument pour rien.
En attendant des ramadans meilleurs, je vous souhaite un très bon jeûne et une très bonne résistance. Quant aux autres…
Un dernier mot sous forme de devinette pour rigoler un peu : est-ce qu’une photo est suffisante pour prouver qu’on est quelqu’un – ou quelqu’une – de bien ?