Tirer les leçons du passé, construire l’avenir….
par Dr. Soraya Moket
Sociologue | Experte des inégalités globales | Militante féministe et antiraciste.
Spécialiste des dynamiques postcoloniales et des migrations. (*)
Regard rétrospectif : Une coopération migratoire historique et structurée
Dans les décennies qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale, l’Allemagne de l’Ouest a connu une croissance économique fulgurante, surnommée le Wirtschaftswunder. Ce «miracle économique» n’aurait pas été possible sans l’apport de la main-d’œuvre étrangère, notamment marocaine. À partir des années 1960, des accords bilatéraux ont permis à des dizaines de milliers de Marocains de venir travailler en Allemagne. Ces migrations répondaient à une double nécessité : lutter contre le chômage structurel au Maroc post-indépendance, et combler le déficit en main-d’œuvre dans les secteurs clés de l’économie allemande.
Les Marocain·e·s ont œuvré dans la sidérurgie, l’agriculture, les mines ou encore l’industrie manufacturière, contribuant activement à l’essor de l’économie allemande. Les campagnes de recrutement, menées jusque dans les villes marocaines comme Casablanca ou Tanger, étaient encadrées par des structures institutionnelles et appuyées par des organisations locales, telles que l’Union des femmes marocaines. Cette coopération exemplaire constitue aujourd’hui un précédent historique dont il convient de s’inspirer.
Selon le ministère allemand de l’économie et de la protection du climat (BMWK), les travailleurs immigrés ont contribué à doubler le PIB allemand entre 1960 et 1980 (BMWK, 2023).
Conjoncture actuelle : Deux pays, des réalités convergentes
En 2025, les enjeux ont changé, mais les complémentarités persistent. Le Maroc dispose d’une jeunesse instruite et ambitieuse, mais confrontée à un taux de chômage des jeunes de 33 %.
Le gouvernement marocain ambitionne la création de deux millions d’emplois d’ici 2026.
En parallèle, l’Allemagne affronte une transition démographique de grande ampleur : plus de 12 millions de baby-boomers partiront à la retraite d’ici 2035. Déjà, 1,7 million de postes sont vacants, en particulier dans les secteurs des soins, de l’artisanat, du numérique et de l’éducation (Institut für Arbeitsmarkt- und Berufsforschung – IAB, 2024).
Deux dynamiques se rencontrent : une jeunesse marocaine en quête d’avenir, et une économie allemande en quête de compétences. Le moment est venu de transformer cette convergence en partenariat structuré.
Un nouveau pacte migratoire: Structuration, équité et durabilité
Malgré des initiatives prometteuses – tel le programme THAMM piloté par la GIZ–, aucun cadre bilatéral pérenne n’existe à ce jour pour organiser la migration de travail entre le Maroc et l’Allemagne. Ces projets, souvent limités dans le temps et dans l’espace, ne suffisent pas à répondre aux enjeux systémiques.
Un nouveau pacte de mobilité devrait reposer sur les piliers suivants :
• un processus de recrutement équitable et numérisé ;
• la reconnaissance mutuelle des qualifications professionnelles ;
• des droits sociaux et juridiques garantis pour les travailleurs migrants ;
• des dispositifs d’intégration en Allemagne et de réinsertion au Maroc.
Les transferts d’argent de la diaspora marocaine représentent plus de 11 milliards USD par an, soit environ 8 % du PIB du pays (Banque mondiale, 2024) – une ressource stratégique pour le développement local.
Proposition stratégique : Créer une Agence binationale pour la mobilité et les compétences
Pour bâtir un modèle migratoire durable, les deux États gagneraient à fonder une Agence commune, dotée des compétences suivantes:
• identifier les secteurs à forte demande : santé, IT, artisanat, éducation ;
• développer des parcours de formation professionnelle conjoints ;
• organiser des cours de langue et des modules d’intégration préalables au départ;
• mettre en œuvre des garanties sociales conformes aux normes de l’OIT ;
• accompagner le retour volontaire et la réinsertion professionnelle au Maroc.
Une telle agence incarnerait un partenariat de nouvelle génération, fondé sur la coresponsabilité, la transparence et le respect des droits humains.
Conclusion : Penser la migration comme un projet de société commun
L’histoire a prouvé que la migration marocaine a été un levier de reconstruction pour l’Allemagne. Aujourd’hui, une nouvelle opportunité se présente : celle de transformer la migration en vecteur de coopération stratégique entre le Nord et le Sud.
Si le Maroc et l’Allemagne choisissent de co-construire un cadre migratoire juste, structuré et visionnaire, ils poseront les fondations d’un modèle exemplaire pour d’autres partenariats euro-méditerranéens.
La migration ne doit plus être pensée comme un phénomène à réguler en urgence, mais comme une stratégie partagée à long terme. Le partenariat gagnant-gagnant n’est pas un slogan : il peut devenir réalité.
(*) Dr Soraya Moket œuvre à la croisée de la coopération internationale, de l’éducation politique et de la justice sociale. Elle plaide pour des partenariats équitables fondés sur la solidarité et la reconnaissance des savoirs locaux. Consultante et formatrice, elle intervient en Europe et en Afrique du Nord. En 2016, elle a reçu la Croix fédérale du Mérite pour son engagement.














