Je vais vous parler de ce phénomène inacceptable car immoral, et auquel on a donné bizarrement le joli nom de… transhumance. Il s’agit, vous l’avez sûrement compris, de ces déménagements parfois furtifs et souvent de dernière minute que font beaucoup de nos élus, je veux dire… des élus de ceux et celles qui les ont élus, étant donné que moi, jusqu’à aujourd’hui, je n’ai jamais mis les pieds dans un bureau de vote, ni mis de bulletin dans une urne, mais, croyez-moi, je n’en tire aucune fierté particulière, bien au contraire… Et puisque j’y suis, alors que j’avais décidé de m’inscrire enfin sur les listes électorales récemment réouvertes, je suis en train de m’interroger sérieusement si je vais finir par y aller ou, encore une fois, par renoncer et rebrousser chemin.
En vérité, je n’ai pas justifié à quiconque mon abstention chronique car, après tout, l’acte de voter reste du ressort de la liberté personnelle et, jusqu’à nouvel ordre, ne pas le faire n’est pas encore un délit punissable au Maroc. Et puis, justement, puisque je parle de délit, je crois qu’il faut commencer d’abord par sanctionner tous ces individus sans vergogne qui se permettent de changer d’étiquette politique comme ils changent – ou peut-être ne changent pas – de sous-vêtements.
Hier, ils étaient militants d’un parti, appelons-le X, aujourd’hui ils sont dirigeants dans le parti Y, et demain, vous allez bientôt le voir de visu, ils vont devenir des élus sous la bannière du parti Z. Ces partis, que j’ai préféré laisser anonymes, ne sont pas les seuls à tremper dans ces micmacs sans nom, il y en a bien d’autres que vous connaissez bien, et qui, j’en suis sûr, vont se reconnaître. Cela dit, je dois reconnaître pour ma part que les gens qu’ils cherchent sont bien définis et bien identifiés et dont je ne crois pas en faire partie.
D’ailleurs, même si j’ai beaucoup de copains, voire parfois des amis dans certains de ces partis, personne jusqu’à présent ne m’a proposé de le suivre. Il faut dire que comme, déjà, je ne suis nulle part, c’est-à-dire dans aucun parti, et d’ailleurs je m’y sens très bien, et on aura bien du mal à m’en déloger. Mais, en fait, j’ai compris parce que, justement, certains de ces potes et amis me l’ont expliqué, qu’on ne choisit d’approcher pour un éventuel recrutement-déplacement-changement «que»… Les notables.
D’abord qu’est-ce qu’un notable ? Le dictionnaire de mon cousin Larousse ne m’a beaucoup éclairé sur ce point puisqu’il propose une définition que je trouve laconique et quelque peu anachronique : «Qui occupe une situation en vue» ! Bon, moi, je n’ai pas une situation, disons, très remarquable, mais elle est au moins assez remarquée et même parfois, pas toujours, assez appréciée. Ma femme me souffle à l’oreille que «ce n’est pas ce qu’ils recherchent».
Mais oui, ma chérie, je sais ce qu’ils veulent et je sais ce qu’ils «ciblent». Ces partis sont à la chasse des personnes qui soient ou riches ou puissantes ou même de préférence, les deux à la fois. Mais ce n’est pas suffisant. Elles doivent également n’avoir aucune scrupule pour retourner leur veste à n’importe quel moment et dans n’importe quel lieu et, surtout, chez n’importe qui.
Et enfin, la plus importante des conditions, c’est que cette personne très recherchée – et qui peut l’être parfois réellement – si vous voyez ce que je veux dire – doit avoir une base électorale forte et nombreuse. Il paraît à ce propos que certaines formations politiques demandent un chiffre précis du nombre de leurs futurs votants et futures votantes. Ne me demandez pas comment on peut être sûr des gens sous sa coupe et garantir que le jour béni venu, ils vont bien voter pour vous et pas pour quelqu’un d’autre, je n’en sais rien.
Je ne fais pas partie, vous dis-je, de ces partis ni de ce milieu. Allez leur demander à eux, si vous le voulez, mais en tout cas, je trouve que tant que notre classe politique dans toutes ses composantes et dans toutes ses couleurs continue de fonctionner de cette manière aussi exécrable, je ne donne pas cher de notre jeune et si fragile démocratie.
En attendant, et tout en espérant que tout cela change un jour, je souhaite à tous les vrais démocrates et les vraies démocrates un très bon week-end. Quant aux autres…
Un dernier mot sous forme de devinette pour rigoler un peu : maintenant qu’on a autorisé les fonctionnaires à poursuivre des études supérieures, est-ce qu’on va leur interdire de manifester après avec les diplômés-chômeurs ?