Chroniques

Plaisir et détresse

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Dans ce besoin qui devient addictif à vouloir brûler les deux bouts de la chandelle, on verse dans des pratiques où la joie de vivre n’existe plus. On tombe dans la consommation des drogues qui devient une profonde et durable dépendance.

 

Le Marocain aime rire, rencontrer du monde, se réunir en famille, avec les amis, organiser des fêtes, célébrer des dates… Tout est prétexte pour donner corps et esprit à des rassemblements, à des soirées, à des partages, qui sont autant de synonymes de la joie de vivre, du bien-être, du désir certain de célébrer la vie dans ce qu’elle a de plus beau. Nous, Marocains, nous aimons les mariages, les fiançailles, les anniversaires, les célébrations après l’obtention d’un diplôme, nous aimons toutes les fêtes religieuses ou pas. Et comme pour toutes les sociétés, nous avons évolué et nous avons découvert d’autres approches de faire la fête et de se donner du plaisir. Modernité oblige, importations de concepts étrangers et de coutumes venues d’ailleurs, nous avons nos clubs, nos boîtes de nuit, nos bars, nos pubs, nos restaurants-spectacle, nos soirées à thèmes, nos parties déguisées, nos fêtes privées entre amis et connaissances, nos sorties les week-ends… Rien de plus normal que de se donner un peu de temps, dans une belle parenthèse, pour respirer, déstresser, casser la routine, chasser l’ennui, se ressourcer, se lâcher, rire, danser, aimer et se laisser aimer. C’est une très belle thérapie qui peut alléger la lourdeur des jours. C’est une manière qui peut être salutaire pour mieux gérer la vie et ses contingences, ses complications, ses responsabilités de plus en plus multiples… Sortir, dîner dehors, passer un bon moment, se détendre, se faire du bien et retrouver une bonne semaine de travail, avec plus de sérénité et de disponibilité.

Mais il y a le revers de la médaille. Aujourd’hui, et cela date de plusieurs décennies, les choses ont évolué à une vitesse vertigineuse, une majorité de Marocains et de Marocaines qui sort la nuit n’a aucun sens de la mesure. Ils sont dans les excès à tous points de vue. Certains, et ils sont nombreux, sortent toutes les nuits. Ils vivent la nuit et dorment le jour. Certains ne conçoivent pas une soirée sans cette recherche effrénée du plaisir immédiat qu’il soit sexuel, culinaire ou le résultat d’une grande consommation de tous types de drogues qui circulent aujourd’hui au Maroc. Du cannabis au crack en passant par la cocaïne, l’héroïne, l’ecstasy, le LSD, les benzodiazépines en forte dose et d’autres substances qui font que le sens même de la fête est tronqué. Dans ce besoin qui devient addictif à vouloir brûler les deux bouts de la chandelle, on verse dans des pratiques où la joie de vivre n’existe plus. On tombe dans la consommation des drogues qui devient une profonde et durable dépendance, ce qui donne corps à des cercles vicieux, à des conséquences graves, avec des overdoses, des morts, des suicides, des crimes perpétrés sous drogues et d’autres dérives auxquelles nous assistons au quotidien en tant que médecins.

La question qui se pose est la suivante : elle est où la fête quand on boit des bouteilles de vodka et de whisky, quand on ingurgite des dizaines de bières, des litres de vin rouge ou blanc en une seule soirée, le tout saupoudré d’autres poudres et autres cachets ? Comment peut-on prétendre au bonheur et au plaisir quand on devient toxicomane, assujetti aux drogues, se perdant dans les méandres de la nuit, dans une terrible fuite en avant jusqu’à la chute finale. Cette chute qui survient toujours, tôt ou tard, et qui est toujours terrible et implacable ?

De nombreuses personnes ont perdu leur vie dans cette chute. Beaucoup d’autres ont raté de beaux parcours. Certains ont fini avec des maladies graves quand d’autres apparaissent vieux alors qu’ils n’ont que cinquante ans. Toujours prisonniers de cette idée du plaisir immédiat sans modération, sans contrôle, sans mesure, allant au bout du risque et finissant dans un véritable enfer au quotidien. Car, pour de nombreux noctambules, sortir n’est plus motivé par l’idée du plaisir. C’est devenu une obligation. Sans aucun plaisir. Avec une intense douleur et une souffrance criarde.

Cela touche tout le monde. Et le monde de la nuit l’incarne parfaitement avec de plus en plus de jeunes qui sont déjà des proies faciles pour les dealers qui sillonnent les bars, les cabarets et autres clubs. De plus en plus de jeunes se droguent à des âges précoces à cause de cette fausse idée de faire la fête qui rime avec drogues. Mais on peut se faire plaisir sans se droguer. On peut passer des soirées de folie sans boire des litres d’alcool. On peut draguer et se faire draguer, vivre sa sexualité en se protégeant et en protégeant l’autre, sans être dans un état second. Car, pour une majorité, le sexe est devenu synonyme d’usage de drogues, l’objet de fantasmes délirants, toujours dans une profonde dépendance souvent accompagnée d’autres discordances et troubles associés.

Sortir la nuit pour chasser l’ennui peut être une belle parenthèse dans la semaine pour faire un break et prendre un grand bol d’air sans s’intoxiquer ni le corps ni l’esprit. Sortir doit être motivé par la joie de vivre. Sortir doit être la manifestation simple du bien-être, dans la mesure, dans la retenue, dans la responsabilité, loin des excès, loin des dangers, loin de la prise inutile de risque, loin des endroits malfamés et douteux, dans une recherche d’une belle ambiance, dans la détente, dans le laisser-aller sans lendemains qui déchantent.

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