On capitalise sur l’histoire, avec toutes ses époques comme base pour construire le monde de demain. Cette vision suppose aussi que l’on doit se délester du poids de tout ce qui a été entrepris avant et qui s’est soldé par un échec fracassant.
Le monde a toujours été divisé entre progressistes et conservateurs. Entre des personnes qui pensent à demain et d’autres qui s’accrochent à hier. L’affaire des progressistes est de continuer à commettre des erreurs. L’affaire des conservateurs est d’éviter que les erreurs ne soient corrigées.
D’un côté, des personnes qui ont le goût du risque. De l’autre, des gens qui font de l’immobilisme et de la théorie du rétroviseur un credo, une doctrine et un dogme. Pourtant, dans la politique dont les éléments nombreux et changeants sont si difficiles à saisir dans leur ensemble presque toujours la théorie est contredite par l’expérience, comme la rappelle Joseph de Maistre. La théorie est de voir en arrière. L’expérience est de miser sur le futur, qui, lui, s’appuie sur ce qui se fait dans le présent. Cela ne veut en aucun cas dire qu’il faut oublier les enseignements du passé. Loin de là. Au contraire : il faut lire l’histoire du passé.
Il faut la comprendre et en extraire les leçons qui peuvent construire un monde meilleur sans les dérapages et autres dérives de ce même passé tant glorifié, partout et par toutes les nations, à différents degrés et différentes mesures. Un analyste aussi averti que Louis de Bonald nous dit ceci : «Il faut marcher avec son siècle, disent les hommes qui prennent pour un siècle les courts moments où ils ont vécu. Mais ce n’est pas avec un siècle, mais avec tous les siècles qu’il faut marcher». On capitalise sur l’histoire, avec toutes ses époques comme base pour construire le monde de demain.
Cette vision suppose aussi que l’on doit se délester du poids de tout ce qui a été entrepris avant et qui s’est soldé par un échec fracassant. Si progrès signifie réduire les hommes à de simples travailleurs qui doivent payer leur pain quotidien, tous les passés n’auront servi à rien de glorieux dans l’histoire humaine. La domestication de l’être humain constitue le grand impensé face auquel l’humanisme a détourné les yeux depuis l’antiquité jusqu’à nos jours.
Le simple fait de s’en apercevoir suffit à se retrouver en eau profonde. Cette domestication a créé deux espaces sociaux : celui de ceux qui possèdent les moyens de production et ceux qui les font tourner pour consolider le pouvoir des détenteurs du capital. Voltaire nous dit à ce propos : «On a trouvé en bonne politique le secret de faire mourir de faim ceux qui en cultivent la terre, font vivre les autres». Dans ce sens, il faut se résoudre à cette conclusion maintes fois vérifiée à travers les époques : le capitalisme a hypostasié l’économique au point de l’identifier au fonctionnement de la société. Le monde bourgeois et capitaliste est presque tout entier pour ainsi dire consacré à l’argent et au plaisir.
Cette attitude reste dans l’histoire comme un des plus grands tours de passe-passe, et sans doute, la seule de la démagogie bourgeoise. Dans cette configuration, la politique est fille de la diplomatie et de l’escroquerie courtoise, nous rappelle Jacques Sternberg. Ce qui pousse un autre penseur enclin à des calembours pas toujours élégants à avancer cette assertion qui peut avoir écho dans de nombreuses sociétés : «Les hommes politiques et les couches doivent être changés souvent… et pour les mêmes raisons».
C’est une autre manière de parler du progrès comme vision sociale et politique et du conservatisme comme dérive issue du pouvoir lui-même qui s’accroche à ce qui l’a mis en place, quitte à nier son propre fondement né de la rupture avec les pratiques du passé. D’ailleurs, chaque période de l’histoire politique et sociale se dit révolutionnaire en comparaison avec ce qu’elle est venue combattre et changer. Edmund Burke nous dit que les révolutionnaires ont fondé leur république sur trois bases : le régicide, le jacobinisme et l’athéisme. A cela, ils ont accolé un code systématique de mœurs qui doit mettre la machine en action, et lui continuer le mouvement. En face, il y a l’autre pendant : l’élite de la nation en maintenant le principe même de la monarchie, seront encore les conservateurs des traditions de l’honneur, les témoins de l’histoire, les hérauts d’armes des temps passés et les monuments de la grandeur de la nation.
Sauf que dans un sens comme dans l’autre, l’Histoire nous dit ceci : Faites attention, quand une démocratie est malade, le fascisme vient à son chevet, mais ce n’est pas pour prendre de ses nouvelles. Face à cela, nous vient la phrase célèbre de Emma Goldman qui dit : «Mais qu’as-tu donc pour te soutenir, dans ce pays où l’idéalisme est considéré comme un crime, où les rebelles sont des parias et dont le seul Dieu est l’argent ?». Ce qui fait dire à George Orwell : «Si votre salaire ne suffit qu’à manger et dormir, ce n’est pas un travail. Autrefois, on appelait cela de l’esclavage». Tous les régimes, toutes les époques, toutes lesdites civilisations ont abouti au même résultat : créer une société de travailleurs qui payent pour manger et rester en vie, jusqu’à la retraite.
Alors, à quoi sert la politique sociale et la société des politiques, si, au final, on aboutit à une société assimilée à une fabrique de la faim et de la douleur ? Ceux qui peuvent vous faire croire à des absurdités, peuvent vous faire commettre des atrocités, nous enseigne l’Histoire. Une atrocité qui commence d’abord par celui qui trime pour maintenir le capital intact. Ensuite, on liquide le corps vaillant de toute société : sa jeunesse. Pourtant, encore une fois, l’Histoire nous enseigne que c’est la fièvre de la jeunesse qui maintient le reste du monde à température normale. Quand la jeunesse se refroidit, le reste de la société claque des dents.
Tout ceci pour dire que lire l’histoire du monde entre progrès et conservatisme n’est en aucun cas chose aisée. Les zones d’ombre sont nombreuses, les écueils aussi. Avec cette vérité absolue, qui régule le monde : à la fin, il faut garder en tête que nous vivons d’un monde où les médias sont les entités les plus puissantes. Ils ont le pouvoir de faire d’un innocent un coupable et d’un coupable un innocent.














