Chroniques

Quand Harvard attaque Trump, c’est la science qui se défend

Dr Imane Kendili | Psychiatre et auteure.

On ne réforme pas un système en réduisant au silence ceux qui le comprennent. Harvard, en choisissant de réagir, réaffirme une évidence qui semble devoir être rappelée : penser, c’est soigner.

L’image est saisissante : une université, la plus ancienne et la plus prestigieuse des États-Unis, décide de poursuivre l’État fédéral. Non pour une question de pouvoir, ni de réputation, mais pour une vérité à défendre. Celle de la science. Celle de l’indépendance intellectuelle. Celle, aussi, du droit de penser à contre-courant. En attaquant l’administration Trump après le gel de ses subventions, Harvard ne se contente pas d’ouvrir un procès administratif. Elle allume un phare dans une époque qui préfère l’obscurité confortable aux lumières dérangeantes de la connaissance.
Sous couvert de «priorités nationales» et de «lutte contre l’idéologie woke», plusieurs programmes de recherche – en santé publique, en psychiatrie communautaire, sur les addictions ou les inégalités sociales – ont vu leurs financements suspendus. Ces projets, souvent axés sur les effets psychologiques de la pauvreté, les traumatismes liés aux discriminations, ou encore les conséquences mentales des dérives climatiques, deviennent des cibles idéologiques. Et ceux qui les portent, des ennemis d’un récit politique qui n’admet pas les nuances. Trop critique. Trop libre. Trop humain.

Mais que signifie censurer la recherche ? Que dit ce geste, à peine voilé, de la peur qu’éprouvent certains visages du pouvoir face aux vérités que produit la science ? On ne retire pas des subventions à une institution comme on coupe un robinet. On déclare, symboliquement, que la connaissance dérange. Que le réel fait peur. Que l’analyse des blessures collectives doit être tenue à distance comme une contagion. C’est là que cette affaire devient vertigineuse.

Car l’université, dans sa fonction la plus essentielle, joue le rôle du thérapeute d’une société. Elle interroge les causes profondes, elle relie les symptômes aux systèmes, elle tente de comprendre ce que la surface cache avec soin. En tant que psychiatre, je sais ce que signifie ce geste de recul face à la parole lucide. Je le vois chaque jour chez mes patients. Le moment où l’on évite le miroir. Où l’on préfère l’illusion confortable à l’inconfort de la vérité.

Ce que l’administration Trump tente de faire ici, c’est d’imposer un traitement à base de silence. Or on ne soigne pas une société avec du silence. On ne guérit pas un traumatisme en le niant. On ne réforme pas un système en réduisant au silence ceux qui le comprennent. Harvard, en choisissant de réagir, réaffirme une évidence qui semble devoir être rappelée : penser, c’est soigner. Explorer, c’est protéger. Et toute tentative de censure intellectuelle est une attaque contre la santé mentale collective.

C’est peut-être là que réside la véritable portée de cette affaire. Dans le fait qu’une grande université dise non à une société qui veut rendre la pensée suspecte. Qu’elle refuse d’être le bras universitaire d’un storytelling politique qui préfère la loyauté à la vérité. Et qu’elle réhabilite, dans un geste de droit, la dignité du savoir comme outil de réparation. Nous vivons une époque où la vérité vacille, non pas faute de preuves, mais faute d’espace pour être écoutée. Harvard ne défend pas une subvention : elle défend la possibilité que la science reste un espace de liberté. Elle rappelle, à sa manière, qu’une société qui n’écoute plus ses penseurs finit toujours par s’effondrer sur ses illusions. Et que si la vérité dérange, c’est souvent qu’elle est en train de toucher juste.

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