Chroniques

Réseaux sociaux, renseignement et marché de l’information

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Aujourd’hui plus qu’hier, l’humain est confronté à tous types de contenus et n’arrive plus à distinguer le vrai du faux et à être en mesure de cerner une information de qualité de celle qui ne l’est absolument pas.

A la base, l’information est une simple donnée, qui peut être importante comme insignifiante, rarissime comme répandue, complète comme fragmentaire, codée comme décryptée. Elle peut provenir de multiples sources : Web, médias, études académiques, bases de données publiques ou privées, sinon directement transmise de bouche à oreille, achetée ou interceptée grâce à différents moyens technologiques et informatiques de pointe. Du coup, il existe plusieurs manières pour s’informer de l’actualité, pour retrouver une information, pour s’enquérir d’un événement ou pour avoir une vue d’ensemble d’une situation donnée. Au siècle dernier, la consommation de l’information par le citoyen se faisait principalement à travers la télévision et la presse écrite, lesquelles étaient facilement cadrées et contrôlées. Actuellement, le monde se dirige vers un nouveau paradigme numérique où les technologies modernes de communication ont multiplié le nombre de réseaux sociaux et les flux d’information, concurrençant vivement les médias traditionnels et bouleversant les habitudes et les mentalités du citoyen. Selon de récentes statistiques (janvier 2024) publiées par FrankBoston (stock.adobe.com), 5 milliards d’utilisateurs actifs peuplent les réseaux sociaux, soit près des 2/3 de la population mondiale, ce qui représente un pourcentage élevé. Il est aussi important de noter que les réseaux sociaux favorisent grandement les effets des manipulations de l’information (vitesse de circulation, ampleur et diversité des publics touchés, impact élevé pour un coût nul). L’individu n’étant pas généralement suffisamment formé et outillé pour apprécier le contenu et la qualité des réseaux sociaux, des experts de l’information ne ménagent pas leurs mots pour dire, noir sur blanc, que la vérification de la fiabilité et de l’intégrité de l’information sur le Web et dans les réseaux sociaux (Facebook, YouTube, TikTok, LinkedIn, Instagram, X, …) reste quelque chose de difficilement cernable.

Au fait, en matière de collecte, de compilation et de tri de données, il est extrêmement difficile de séparer le bon grain de l’ivraie car l’information est assez souvent orientée. Il est encore plus étonnant de constater que la plupart des gens, d’ici et d’ailleurs, ne réalisent pas la perte de temps considérable que cela occasionne, ne mesurant point l’impact négatif sur leur travail, leur famille, leur santé et leur bien-être: dépendance, mauvaise estime de soi, pression sociale et dérèglement des cycles de sommeil. Puis, les conséquences négatives sont beaucoup plus graves chez les mineurs. En effet, pour cette catégorie d’âge, la question est extrêmement complexe puisque les risques en ligne pour leur santé mentale sont considérablement plus élevés. D’autant plus que ces jeunes sont la relève de demain, d’où l’intérêt pour un Etat d’investir, en priorité, dans leur encadrement et leur éducation afin de leur enseigner les valeurs de citoyenneté et de patriotisme, mais aussi de leur inculquer une culture de maîtrise de l’environnement de l’information pour leur éviter d’être facilement manipulés, escroqués ou victimes d’atteintes aux droits humains.

Réseaux sociaux : un terrain de jeu privilégié de désinformation

La recherche d’information est une activité naturelle pour tous les individus, que ce soit dans un cadre personnel, académique ou professionnel. Chacun de nous a besoin de connaître, au quotidien, les tendances des coûts de la vie, les prévisions de météo, suivre la politique locale et l’évolution des faits et des nouvelles réalités internationales. Aujourd’hui plus qu’hier, l’humain est confronté à tous types de contenus et n’arrive plus à distinguer le vrai du faux et à être en mesure de cerner une information de qualité de celle qui ne l’est absolument pas. Cela va au-delà des fake news car la difficulté consiste à traiter et interpréter un ensemble d’informations regroupées ou séparées. Puis, il s’agit parfois d’actes de propagande publique ou d’incitation, de nature à troubler l’ordre public ; sans oublier de mentionner les risques d’usurpation d’identité, d’escroquerie, de chantage, de désinformation et de cyberharcèlement.
A cet égard, plusieurs acteurs du renseignement interviennent, en amont et en aval, pour sauvegarder la sécurité intérieure et extérieure de l’Etat et protéger les droits fondamentaux des citoyens. Parfois, l’on peut piétiner, sans s’en rendre compte, sur les droits de l’Homme bien que cela soit généralement justifié par le fait de vouloir mieux protéger les droits et les intérêts de la nation. Pour éviter à l’Etat de se retrouver dans des situations d’abus de droit, il convient de réglementer le contenu diffusé sur les réseaux sociaux : une approche motivée pour des raisons liées à la sécurité nationale et à la protection des données à caractère personnel. A vrai dire, les réseaux sociaux ont fortement changé le rapport des internautes à la politique, devenant des espaces inédits de contestation et de reconstruction de la politique. Ce nouveau contexte peut s’expliquer par une modification de l’architecture du droit, dont la structure pyramidale cède du terrain au jeu horizontal des réseaux. Autrement dit, il serait indispensable d’encadrer plus fermement les réseaux sociaux, c’est-à-dire d’empêcher, par le droit, que certaines pratiques n’enfreignent les principes de notre Etat de droit. Pour ce faire, il n’est pas plus facile pour le législateur de s’imprégner de législations étrangères en la matière, à l’exemple de la loi européenne du 25 août 2023, sur la surveillance des réseaux sociaux (Digital Service Act).

Nécessité de création d’une Instance nationale de lutte contre la manipulation de l’information

A l’ère des réseaux numériques et de la communication, la guerre de l’information prend le pas sur la guerre secrète. Dans le cyberespace, la rivalité entre Etats devient une règle classique, empiétant assez souvent sur les valeurs humaines et l’éthique: désinformation, lutte d’influence, lobbying, concurrence déloyale et coups bas. Bien que plusieurs services de renseignement agissent en très étroite coordination pour contrôler l’information circulant au niveau des réseaux sociaux, il est aujourd’hui fort opportun pour le Maroc de créer une structure nationale qui puisse réguler le marché de l’information, particulièrement au niveau du cyberespace. Une Institution qui serait éventuellement constituée de représentants, relevant des différentes instances de sécurité et de défense (DGSN, DGST, DGED, FAR, Gendarmerie royale), mais qui impliquerait également d’autres structures étatiques à forte valeur ajoutée, à l’exemple de la CNDP, de la DGSSI, de la MAP, de l’ANRT et de la HACA. Dans une autre perspective, le rôle des plateformes comme Facebook, YouTube, Instagram, TikTok, LinkedIn n’est pas non plus à négliger dans la mesure où celles-ci ont une certaine part de responsabilité dans la prolifération des fake news. C’est là encore un autre aspect très important, parmi tant d’autres, à prendre très au sérieux à l’avenir.

Par Lahrach Yassir
Docteur en droit/Expert en Intelligence économique Analyste en stratégie internationale/Auteur du concept d’intelligence diplomatique

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