Le règne de Moulay Ahmed Al Mansour Eddahabi, le Sultan noir, de mère saharienne, des Berabish, fut marqué par le repositionnement du Sahara marocain au centre de la vie de l’Etat et de la société marocains.
Le Sahara marocain entretient un rôle fondamental dans l’histoire du Maroc, que Ibn Khaldoun dépeint, dans son «Histoire des Berbères», de «pays détaché de tout autre». L’historien Henri Terrasse (1895-1971) mit le point sur «ce fait essentiel de l’histoire marocaine : la conquête périodique du Maroc intérieur par le Maroc extérieur (saharien), a pris des formes diverses. Le plus souvent, une dynastie née au-delà de l’Atlas a conquis le Maroc atlantique»
L’article présent se propose de revisiter des faits cruciaux dans l’histoire millénaire du Royaume qui atteste de la place centrale du Sahara dans l’ensemble marocain.
Les Idrissides (788-1055)
Moulay Idris II dirigea son regard, juste après avoir établi son autorité souveraine sur le nord du Maroc, sur le Sahara marocain, où il conduit, avant son impromptue mort, ses troupes au sud de Marrakech, vers l’au-delà de l’Atlas.
Une entreprise souveraine qui, selon le géographe-historien Emile-Félix Gautier, « ouvre les portes aux Almoravides et aux Almohades : ce qui commence là est l’histoire du Maroc, un compartiment distinct dans l’histoire du Moghreb».
Son fils Moulay Abdallah, Prince d’Aghmat et Nafis, érigea Tamedelt, à la porte du Sahara, en plateforme du commerce caravanier transsaharien.
Les Almoravides (1055-1144)
Les Sultans almoravides, issus des tribus sahariennes amazighes de Sanhaja (Guddala, Lamtouna et Massufa), propulsent le Maroc au statut d’Empire, à cheval sur l’Afrique et l’Europe, et placent le Sahara marocain au centre du processus de l’évolution de l’Etat-nation marocain.
Ils consacrent, ainsi, les trois piliers de la singularité du Maroc, s’agissant d’ «Imarat Al-Mouminine», la Commanderie des Croyants, de la Baya’a – ce lien souverain éternel entre le Roi et le peuple – et de la doctrine malékite. Ce rôle fondamental du Sahara couvre, également, l’économie almoravide, structurée autour du commerce caravanier transsaharien, dont l’axe central se pencha plus à l’ouest, sur le couloir occidental (Oued Drâa – Oued Noun – Oued Sakia El Hamra), qualifié par Raymond Mauny de l’«une des principales liaisons sahariennes de tous les temps».
«Trig Lamtouni», la voie sultanienne
La mémoire collective saharienne garde vive «Triq Lamtouni», la voie empruntée par le Sultan Abou Bakr ibn Omar, de Oued Noun, Oued Drâa à Oued Sakia El Hamra-, qui comprend, au long du bassin de Sakia El Hamra, un chapelet de douze puits, qui abreuvaient les caravanes de la précieuse source d’eau, avant l’entame de la traversée du plein désert «Al Majaba Al Koubra», la Grande Solitude.
Trig Lamtouni fut, lors du commerce caravanier séculier entre le Maroc et l’Afrique sahélienne et subsaharienne, la voie privilégiée des Sultans pour exercer leur souveraineté sur le Sahara.
Le Sahara du Maroc dans le récit de l’historien El Bekri (1040-1094)
L’historien andalou Abou Oubayd Allah El Bekri, le premier à avoir transcrit « Le Sahara du Maroc» pour désigner les régions sahariennes marocaines dans son grand ouvrage «Al Massalik Wal Mamalik», chapitre «De Oued Drâa à Oued Targa -actuelle Sakia El Hamra-», où il décrit la vie au Sahara marocain durant l’époque almoravide.
Les Mérinides (1269-1465)
La genèse de l’architecture tribale qui prévaut, jusqu’à nos jours, au Sahara marocain, remonte aux XIV-XV siècles, à l’époque des Mérinides, des Zénètes du Sahara oriental, précisément durant le règne du Sultan Abou el Hassan, selon le chercheur Dr. Antonio Frey.
En effet, le déplacement, du nord au sud du Maroc, des tribus des Beni Hassan, issues de la migration hilalienne du XI siècle, fut concomitant de l’installation à Oued Sakia El Hamra de Saints-fondateurs des tribus sahariennes, notamment Ouled Tidrarine (Sid Ahmed Boukanbour), Yagout (Sid Ahmed Ouhassoun), Filala (descendants de Moulay Ali Cherif), Ouled Bou Sbaâ (Les sept martyrs des Bou Sabaâ), Laâroussiyine (Sid Ahmed Laâroussi) et Rgueibat (Sid Ahmed Rgueibi). La politique saharienne des Mérinides est donc à l’origine de l’éclosion de la composante hassanie, née du brassage des tribus amazighes des Sanhaja et arabes des Béni Hassan.
Les Saâdiens (1465 – 1659)
Les Saâdiens conquirent le pouvoir, après avoir conduit la résistance contre l’invasion ibérique, mobilisant les tribus du Souss et de Oued Drâa et les confréries religieuses, dont celles de Sakia El Hamra.
La dynastie saâdienne revitalise la tradition des Sultans de l’exercice direct de la souveraineté sur le Sahara marocain, à travers la Harka, et de la mise au point d’une politique saharienne impériale, à travers le commerce caravanier transsaharien.
Le Sultan du Maroc est le seul Souverain du Sahara, l’historiographe Fernandes (1450 – 1519)
L’historiographe portugais Valentim Fernandes reconnut, dans son Manuscrit sur la «découverte» des côtes atlantiques du Sahara marocain (Cabo Bojador en 1434 et Rio do Ouro en 1435), que «Dans toute cette région occidentale, il n’y a d’autre Roi ni quelqu’un qui s’appelle Sultan que le Roi de Fès». Le Sultan Moulay Mohammed Cheikh conduisit, en personne, en 1566, une Harka aux confins de Sakia El Hamra, où le Souverain saâdien installa sa cour, in situ, pour superviser, en personne, la relance du commerce caravanier transsaharien, à travers la voie de Oued Drâa – Oued Noun – Oued Sakia El Hamra.
Marmol Carvajal, captif des Saâdiens, la traversée de Sakia el Hamra
Le voyageur Luis de Marmol Carvajal (1520-1600) fit référence, dans sa «Description Générale de l’Afrique», à cette expédition «sultanesque» destinée à reprendre le commerce caravanier transsaharien. L’archéologue français Adrien Bebrugger, dans « Le Prégnon d’Alger ou les origines du gouvernement turc en Algérie », édité en 1860, indique que Marmol Carvajal «à la suite du Chérif Mohammed (Cheikh), il traversa les déserts de Libye jusqu’à Acequia el Hamra (Saguit el Hamra), ligne de fond qui forme la limite méridionale du Maroc, alors que ce Chérif se rendit maître des provinces de l’Ouest».
Le saint-fondateur de la tribu Rgueibat prête allégeance au Sultan Al Mansour Eddahabi
Le règne de Moulay Ahmed Al Mansour Eddahabi, le Sultan noir, de mère saharienne, des Berabish, fut marqué par le repositionnement du Sahara marocain au centre de la vie de l’Etat et de la société marocains. Le Sultan Al Mansour Eddahabi mena plusieurs Harkas dans la région du Sahara marocain et emprunta, souvent, Trig Lamtouni pour exercer directement sa souveraineté sur le Sahara marocain et diriger le commerce caravanier, épine dorsale de l’économie saâdienne.
Lors d’une de ses nombreuses Harka au Sahara marocain, le Sultan Eddahabi campa à Haouza (Smara), où il reçut dans Sa Khaima sultanienne le saint-fondateur de la tribu Rgueibat, Sid Ahmed Rgueibi, scellant ainsi le lien d’allégeance entre les Sultans et Rois du Maroc et les tribus sahariennes.
Les Alaouites (1659, … Moulay Ali Chérif, allégeance des tribus sahariennes
Moulay Ali Chérif, descendant du Prophète Sidna Mohammed, originaire de Tafilalet, s’appuie sur les confréries sahariennes pour rétablir le pouvoir central après la décadence des Saâdiens. Le Sultan Moulay Rachid traversa, en 1670, Sakia El Hamra, en empruntant Trig Lamtouni, pour raffermir la souveraineté de l’Etat, face à un mouvement rebelle qui s’est autoproclamé dans la vallée du Souss.
Sultan Moulay Ismaïl, La lignée chérifienne saharienne (1645 – 1727)
Le Sultan Moulay Ismaïl, qui a régné de 1672 à 1727, dont la mère est issue des tribus sahariennes, confère une dimension familiale et intime aux liens particuliers de la Dynastie Alaouite avec les tribus sahariennes, après avoir épousé la Princesse Khnatha Bent Bekkar Al Maghferia, des tribus Beni Hassan, mère du Sultan Moulay Abdellah et de la lignée souveraine.
Le Sultan Moulay Ismaïl, Empereur des deux Royaumes
Le Sultan Moulay Ismaïl arbore le titre d’Empereur des deux Royaumes, le Royaume de Fès, Tafilalet et Marrakech, ainsi que le Royaume des deux Sahara, c’est-à-dire le Sahara occidental et le Sahara oriental (la Marocanité du Sahara dans les documents des Archives Royales. Médias24, 16/01/2023). Durant son règne d’un demi-siècle, marqué par un nouvel âge d’or de la politique saharienne du Maroc, le Sultan Moulay Ismaïl entreprit de nombreuses tournées impériales dans les régions sahariennes, durant lesquelles les tribus sahariennes lui prêtèrent allégeance.