Ces structures mises en place, le gouvernement, décidé à franchir le dernier pas vers la libération totale de l’économie nationale, prit les dispositions économiques qui allaient déclencher une bataille où il dût faire face aux forces coloniales agissant de l’extérieur du pays, et aux collaborateurs et suppôts du colonialisme, oeuvrant depuis l’intérieur. Les lecteurs se souviennent sans doute de cette bataille, à laquelle al-Tahrir avait pris part, comme des complots, compositions et autres machinations et fabulations -dont notamment le fameux Mois promis- auxquels cela avait donné lieu. Mais fort de sa détermination, du soutien populaire et, par-dessus tout, de la confiance roayle, le gouvernement sortit victorieux de cette bataille. Les dispositions prévues furent mises en application; le Maroc quitta la zone du franc français, et se dota d’une nouvelle monnaie, le dirham, dont la valeur fut fixée en fonction de nos conditions et nos intérêts, non de ceux d’un autre pays que le nôtre. La défaite des ennemis de la libération fut totale. Mais loin de se laisser décourager, ces derniers continuent -par le truchement de leurs complices à l’intérieur de l’administration- à comploter contre ces mesures libératrices : tentatives vouées à l’échec, car elles vont émaner de la volonté divine elle-même.”
Le second de ces deux articles -le quatrième dans l’ordre- s’intitulait quant à lui ”Vers une réforme agraire”.
An voici le texte :
”Il va sans dire que nous vivons dans un pays dont l’économie repose essentiellement sur le secteur agricole, et dont la prospérité dépend, pour une grande part, de l’évolution de ce secteur. Or, il suffit d’un bref coup d’oeil pour se rendre compte que, sous le protectorat comme durant les premières années de l’indépendance, les terres arables dans notre pays étaient de deux sortes. Les premières, terres fertiles, travaillées avec des moyens modernes, étaient aux mains des colons, à qui les autorités de l’occupation les avaient attribuées après en avoir dépossédé -au nom de l’”intérêt public”- leur propriétaire légitime, qui n’est autre que le peuple. Les secondes, de beaucoup moins riches, étaient abandonnées aux agriculteurs marocains qui, avec leurs moyens archaïques, en tiraient à peine de quoi subsister, quand un caprice de la nature -sechresse, criquets, orages, etc.- ne venait pas les priver même de ce minimum.
La démographie aidant, il était inévitable que cette situation engendrât chômage et pauvereté parmi la population rurale, la contraignant à émigrer vers les villes à la recherche de travail, aggravant ainsi le chômage parmi la population urbaine, et faisant de ce problème un véritable fléau nécessitant d’être incessamment et radicalement résolu.
Un problème tel celui du chômage doit être traité en amont. Aussi, c’est vers la campagne que doit être dirigée l’action visant à le résoudre. Mettre fin au chômage nécessite que l’on commence par endiguer le flux de l’exode rural, en assurant aux populations du travail là où elles sont : objectif qui ne saurait être atteint sans une réforme agraire aussi globale que profonde. C’est pour préparer cette réforme que le gouvernement de Sa Majesté a entrepris de redistribuer des terres aux petits agriculteurs, de moderniser les moyens de production et de promouvoir les coopératives agricoles.
La redistribution des terres :
Le premier de ces aspects est celui consistant à redistribuer des terres aux petits agriculteurs, appelés à les entretenir et à les exploiter, contre un faible pourcentage à verser à l’Etat. Pour encourager les nouveaux propriétaires à fournir un maximum d’efforts, ce pourcentage sera calculé de manière à être inversement proportionnel au rendement de la terre. Un minimum de rendement sera par ailleurs fixé, au-dessus duquel l’agriculteur peut voir son contrat résilié. C’est dans ce cadre que Sa Majesté le Roi a présidé à la redistribution de nombreuses terres dans différentes régions du Royaume. Le second aspect de cette phase de la réforme consiste à récupérer les terres des mains des colons pour les redistribuer aux petits agriculteurs, au même titre que les terres appartenant à l’Etat. Il faut dire que la récupération de ces terres constitua en elle-même un acte courageux et révolutionnaire, décidé par le gouvernement Ibrahim dans le cadre d’une vaste entreprise visant à libérer la campagne marocaine du joug de la colonisation agricole et de son cortège de seigneurs féodaux et autres profiteurs. 42.000 hectares de terres communales ont ainsi été récupérés des mains des colons qui les avaient auparavant injustement extorqués à leurs propriétaires véritables. Mais loin de s’arrêter là, le gouvernement continue toujours à déployer les efforts nécessaires pour récupérer le reste des 350.000 hectares encore aux mains de ces colons.
La modernisation des modes et moyens de production :
Depuis l’indépendance, Sa Majesté le Roi préside, chaque année, au lancement de l’opération de labourage. De même, chaque année, le gouvernement de Sa Majesté s’emploie à préparer les programmes et moyens propres à aider au développement progressif de l’agriculture nationale, telle la vulgarisation de l’usage des tracteurs et des moissonneuses, pour supplanter les charrettes et faucilles traditionnelles. L’expérience acquise en ce domaine durant les deux dernières années ont évidemment permis de découvrir des failles, que le gouvernement s’efforce de combler pour l’année en cours.
L’encouragement des coopératives :
Le système des coopératives agricoles est également un moyen de développement de l’agriculture, étant donné qu’en se liguant ainsi, les agriculteurs se prémunissent contre l’exploitation des profiteurs et autres parasites. Cependant, ce système, jusque-là inconnu des agriculteurs marocains, ne pouvait évidemment laisser de provoquer leur étonnement, voire leur hostilité.
Conscient de cette réalité, tout autant que de l’intérêt des coopératives pour l’économie nationale, le gouvernement entreprit de promouvoir ces dernières, leur fournissant aide et soutien. Sa Majesté le Roi a d’ailleurs indiqué -dans le discours qu’elle donna à Marrakech lors d’une opération de redistribution de terres dans les zones sud du Raoyaume- les grands lignes de la politique agricole du gouvernement de Sa Majesté, évoquant justement la redistribution des terres, la modernisation des modes et moyens de production, ainsi que sur l’encouragement des coopératives.
• Par Mohammed Abed al-Jabri