Chroniques

Un crime impuni depuis un demi-siècle

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Le 18 décembre 1975, les autorités algériennes mettent en branle une machinerie implacable pour traquer, arrêter et déporter en quelques jours seulement l’ensemble de la communauté marocaine présente dans le pays.

Le 8 décembre 1975 est une date gravée dans la mémoire de dizaines de milliers de Marocains. Ce jour-là, sur ordre du président algérien Houari Boumediène, 45.000 familles, soit près de 400.000 personnes, ont été expulsées manu militari du territoire algérien où elles vivaient et travaillaient parfois depuis des générations.
Cette «Marche noire», comme elle a été baptisée par les victimes, reste à ce jour l’une des pires tragédies de l’histoire contemporaine entre le Maroc et l’Algérie. Près d’un demi-siècle après les faits, les plaies sont loin d’être refermées et les victimes continuent de réclamer justice et réparation. Retour sur cette page sombre des relations entre deux pays voisins.

Les origines du conflit
Pour comprendre ce qui a mené à l’expulsion massive de 1975, il faut remonter à l’indépendance du Maroc et de l’Algérie dans les années 50. A cette époque, de nombreux Marocains s’installent en Algérie, notamment pour des raisons économiques liées au développement des industries pétrolières et gazières algériennes.
Les tensions apparaissent au début des années 70 lorsque le Maroc publie un dahir relatif à la nationalisation des terres agricoles appartenant à des étrangers, y compris algériens. L’Algérie proteste vivement contre cette dépossession de ses ressortissants.
Le point de non-retour est atteint après la Marche Verte organisée par le Maroc en novembre 1975 pour récupérer le Sahara occidental jusqu’alors sous domination espagnole. L’Algérie, qui revendique également ce territoire, voit d’un très mauvais œil cette manœuvre marocaine.
C’est dans ce climat de tension extrême entre les deux pays que le régime algérien décide de frapper un grand coup en expulsant manu militari des dizaines de millers de Marocains établis sur son territoire.

Une opération d’une violence inouïe
Le 18 décembre 1975, les autorités algériennes mettent en branle une machinerie implacable pour traquer, arrêter et déporter en quelques jours seulement l’ensemble de la communauté marocaine présente dans le pays.
Tous les services de sécurité sont mobilisés, notamment l’armée, les services de renseignement, la police et la gendarmerie. Pendant près de deux mois, ces forces procèdent à des arrestations massives, des actes de torture, viols et séquestrations pour terroriser les Marocains et les forcer à quitter le territoire dans des conditions extrêmement précaires, la plupart du temps avec juste les vêtements qu’ils portent sur eux.
De nombreux témoignages attestent du sadisme et de la cruauté avec laquelle les forces de sécurité algériennes se sont attaquées aussi bien aux hommes et femmes qu’aux personnes âgées et aux enfants. Coups, humiliations publiques et violations étaient monnaie courante dans les centres de détention secrets où étaient enfermés arbitrairement des centaines de Marocains. Certains y ont même trouvé la mort.
Les biens des expulsés ont également été confisqués ou détruits sans aucune forme de procès, les laissant totalement démunis une fois arrivés côté marocain.
A leur descente des bus qui les acheminaient jusqu’à la frontière, hommes, femmes et enfants ont été abandonnés à leur sort, livrés à eux-mêmes, sans aucune assistance des autorités algériennes. La Croix-Rouge marocaine et des bénévoles venus en aide aux expulsés ont décrit des scènes de chaos et de dénuement total.

Une tragédie aux lourdes séquelles
Près d’un demi-siècle après les faits, les blessures sont toujours vives tant les séquelles de cette expulsion sauvage furent importantes sur les plans humain, social et psychologique.
Sur le plan matériel et financier d’abord, les expulsés se sont retrouvés du jour au lendemain totalement dépouillés, sans ressources, sans logement, avec des familles brisées par la séparation de leurs membres. Certains ont été durablement traumatisés et choqués par les mauvais traitements et outrages subis.
Sur le plan administratif ensuite, leur statut pose toujours problème. Beaucoup ont perdu leur emploi du fait de ce déracinement forcé et n’ont depuis jamais été indemnisés à hauteur des biens perdus et du préjudice subi. En 2010 même, un article de loi controversé en Algérie a entériné la mainmise de l’Etat sur les propriétés foncières et immobilières confisquées aux expulsés trente ans plus tôt. Une spoliation que les victimes cherchent encore à faire reconnaître sur le plan international.
Enfin, sur le plan mémoriel, les blessures psychologiques restent vives chez celles et ceux qui ont connu cette tragédie, hantés par les souvenirs douloureux de violences, d’humiliations et par le sentiment d’une terrible injustice.

Une quête de justice qui se poursuit
En 2005, une Association pour la défense des Marocains expulsés d’Algérie (ADMEA) est créée. Elle œuvre depuis à maintenir la mémoire de cet évènement traumatique et à défendre les droits des victimes de la «Marche noire».
Son combat est aujourd’hui repris par l’Association marocaine des victimes de l’expulsion arbitraire d’Algérie (AMVEAA) qui multiplie les démarches auprès des instances internationales pour faire reconnaître la gravité de ce crime contre des civils innocents et obtenir réparation.
Son secrétaire général, Mohammed Hamzaoui, victime lui-même de cette tragédie, souhaite une intervention de la justice internationale pour que les responsables algériens répondent de leurs actes devant des instances impartiales et que ce chapitre douloureux puisse être définitivement refermé.
Près d’un demi-siècle après les faits, l’AMVEAA estime qu’il est temps que cet acte criminel soit reconnu pour ce qu’il est : un crime contre l’humanité aux conséquences dramatiques sur des centaines de milliers de vies innocentes.
La balle est aujourd’hui dans le camp de la communauté internationale. Va-t-elle continuer à fermer les yeux ou décider que justice soit faite pour les victimes de la «Marche noire» ? Affaire à suivre…

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