Ce drame est une tragédie. Je n’ai trouvé que cette forme pléonastique pour qualifier la catastrophe de Hay Nahda qui a clôturé le Festival Mawâzine. Mes enfants auraient pu y être, ou plutôt à l’autre scène sur laquelle se produisait Stevie Wonder et le même drame aurait pu s’y produire. Je n’en dirai donc pas plus sur ce que je ressens. Mais est-ce une raison pour tirer à coups d’éditoriaux sur les festivals et sur ce festival particulièrement. Avec le Festival de Timitar d’Agadir et celui de gnaoua à Essaouira, mais quelques crans au-dessus, Mawâzine est devenu pour le Maroc le festival référence. Entamé sous la houlette de Abdeljalil Elhjomri comme un salon du raffinement culturel construit sur les rythmes du monde, il a évolué, sans quitter la matrice qui lui a donné naissance, avec Mounir Majidi, chef du Secrétariat particulier du Roi, pour prendre une dimension populaire apportant la joie et le chant là où d’habitude la vie est terne. Par la notoriété des vedettes qui l’ont animé et la qualité de ses scènes, Mawâzine est sans conteste aujourd’hui une fête de facture internationale. Les islamistes qui font des victimes un fonds de commerce pour s’attaquer à la politique des festivals en y voyant dans une paranoïa sans égale un outil destiné à cantonner leur influence, devraient y réfléchir à deux fois avant de chercher à nous imposer leur mono choix entre le blanc et le noir et une vie sans aspérité, sans lumière et sans couleurs.
A Mawâzine, aux dangers du quotidien s’applique ce titre d’un ouvrage de Willy Rozenbaum, co-découvreur du virus du sida : «La vie est une maladie sexuellement transmissible constamment mortelle». Dès la gestation, elle est génétiquement marquée par la fatalité de la mort. C’est en faisant avec que la vie continue. Pour ce qui vient de se passer, je n’ajouterai pas grand-chose à ce que Khalil Hachimi Idrissi a dit dans son éditorial du 26 mai dernier : il est temps d’offrir aux festivals une sécurité conforme aux normes en vigueur mondialement. Sachant que le risque zéro n’existe pas. Sans comparaison commune, mais juste pour le principe de préciser que le risque de mortalité augmente proportionnellement à la densité de la foule : Le pèlerinage à La Mecque connaît régulièrement les méfaits de l’agora en dépit de la puissance des moyens que mettent les autorités saoudiennes pour assurer la sécurité des pèlerins. Le plus meurtrier avait fait 1.426 morts en 1990. En 1985 à Bruxelles, l’effondrement d’un muret et des grilles de séparation au stade Heysel sous la pression des supporters avait fait 39 morts et plus de 600 blessés. Ce ne sont pas les manifestations footballistiques qui avaient été remises en cause mais les normes de sécurité. Il est possible malheureusement de multiplier les exemples à volonté, mais limitons-nous à la route. Au Maroc comme ailleurs, chaque année, des milliers de victimes y laissent leurs vies. Ce ne sont pas les routes qu’on ferme ni les voitures qu’on interdit, mais les normes de sécurité et les sanctions qui en découlent qu’on appelle à changer. Le gouvernement s’y est essayé. Paradoxalement, ceux-là mêmes qui crient au loup concernant Mawâzine ont farouchement défendu le «droit» des routiers à tuer impunément. Périr écrasé par un camion en revenant de son travail, ce ne doit pas être la même chose que mourir étouffé par la foule après avoir passé une soirée à danser. C’est peut-être dans cette nuance que se situe la différence entre l’enfer et le paradis.













