Qui l’eut cru ? Et avec une telle rapidité en plus. Les changements en Tunisie démentent un postulat : l’importance de la classe moyenne et le taux de croissance assurent la stabilité. De deux choses l’une, ou la théorie est fausse ou ce que l’on croyait être la Tunisie est une grosse arnaque. Un fait est sûr, on ne vit pas que de pain. Pain perdu, le jeu de mot n’est pas de bon goût, mais un sandwich à la liberté ne ferait de mal à personne. Le départ à la sauvette de Ben Ali, lui, raconte une chose essentielle : l’histoire reste et restera imprévisible. Elle a parfois cette tentation à remettre les analystes et les scrutateurs des évènements à leur petite place de la même manière que la pluie rappelle souvent aux météorologues l’inexactitude de leur science. Mais au moins ces derniers ont l’humilité de s’en remettre à ce qu’ils appellent l’indice de confiance sur une échelle de 1 à 5. Cinq étant la certitude absolue. Avec un brin de modestie, tous les prospecteurs de l’avenir, toutes tendances et toutes matières confondues, devraient se soumettre à cette discipline. On sait déjà que la prospective n’est jamais autant meilleure que quand elle prospecte le passé. Pour l’exemple, si je dois donner un indice de confiance à ce que vous êtes en train de lire, ce sera zéro. Rétrospectivement, forcément, on le sait maintenant, le ver était dans l’olive, comme la ficelle, si gros qu’on ne le voyait pas. En plus des difficultés quotidiennes des citoyens et leur étouffement, intrigues et complots des alcôves ont fait perdre au pouvoir sa réactivité et son sens de l’anticipation. L’histoire est ainsi faite, surtout quand elle ne s’est pas encore écrite, prompte à vous retrouver là où vous ne l’attendez pas. Les Occidentaux laïcs s’en amusent, mais c’est pour cela qu’en terre d’Islam on dit inchallah. La transition est toute trouvée. La fébrilité des islamistes marocains, le PJD notamment, n’a d’égale que leur joie. Avant de crier victoire, ils seraient mieux inspirés d’attendre sur quoi va déboucher la transition en Tunisie. Tous leurs écrits sont sur le même mode : l’option éradicatrice est sans issue. Comme si un jour quelqu’un ici leur avait dit le contraire. Naturellement il y a un courant d’idée, dans lequel je me reconnais, hostile à l’islamisme politique marocain qui est loin de s’apparenter à l’intelligence de l’islamisme turc. Le combat se situe au niveau des opinions. C’est le propre même du jeu politique et les déplacements sur l’échiquier pour cantonner l’adversaire sont de bonne guerre. Pour sa part, l’Etat tient bien la barre de l’ouverture en même temps qu’il se doit de rester vigilant, et il l’est, tant derrière l’islamisme classique se meut une nébuleuse autrement plus dangereuse. Le PJD pour l’instant est plus pressé à crier au loup qu’à décliner un programme autre que celui de mettre le voile aux femmes. Lorsqu’on représente une petite part d’une petite part de l’électorat, on devrait au moins s’astreindre à un peu de retenue.