ChroniquesUne

Vengeance n’est pas justice

© D.R

Durant 24 heures donc, le Web a révélé son côté sombre : s’exprimer est une chose, mais faire appel à nos plus bas instincts montre les limites de la Toile, où l’écran annihile toute retenue, toute réflexion pour céder la place aux propos à l’emporte-pièce, voire à la surenchère car à ce moment-là précis nous avons eu l’impression d’assister à une course, voire à un concours, à la barbarie

. La vie et la mort d’un homme méritent un vrai débat où l’on soit capable d’argumenter, de répondre et où au bout du compte un choix entre deux voies est ouvert.
Le drame que nous avons vécu il y a quelques jours -avec le meurtre du petit Adnane (paix à son âme)- a révélé à quel point nous manquions de ‘’structures’’ capables d’organiser un débat sur le sujet qui en a émergé, celui de la peine de mort. Il était du rôle des partis politiques de se saisir de ce sujet ô combien sensible, il était de leur rôle de réunir les personnes capables de débattre de cette question de société, de faire entendre les différents points de vue et jeter les bases d’un vaste débat national.

Ils ne l’ont pas fait, et à quoi donc avons-nous assisté ?
A une foire d’empoigne où les arguments ont cédé la place à des monologues, à des anathèmes, à un déversement de haine, d’appel à la vengeance n’ayant rien à voir avec une légitime demande de justice.
Les réseaux sociaux qui aujourd’hui -notamment dans le contexte de pandémie- remplacent la ‘’vraie vie’’ sont devenus l’espace de 24 heures (eh oui l’indignation sur le Web ne dure que ce que dure la mémoire d’un poisson rouge) un déversoir de violence où la barbarie faisait face à la barbarie : rendez-vous compte, il fallait -en même temps- empaler le criminel, le décapiter et le promener dans une cage au fil des rues afin de le lapider (je n’invente rien, nos murs en gardent les traces). Entendons-nous bien, il ne s’agit nullement d’empêcher le débat, bien au contraire, mais alors un débat structuré, éclairé, capable de proposer un choix tant il est vrai que partisans de la peine de mort ou abolitionnistes ont des arguments à faire entendre.

A la place de ce débat c’est la violence qui a pris le pas : les partisans de l’abolition de la peine de mort sont même devenus des traîtres, des complices de l’assassin, des athées… j’en passe et des pires…
Et malheureusement il ne s’agit ici que d’un exemple de ce que chaque question de société entraîne en notre sein : héritage, sexualité, apprentissage des langues, harcèlement… sont quelques-uns des sujets qui débutent et se terminent en queue de poisson faute de partis politiques capables de faire preuve de courage en s’en saisissant, tout comme -hormis quelques un(e)s qui se comptent sur les doigts d’une main- nous manquons d’intellectuels audibles.
Souhaitons que ce débat s’instaure, tout comme il faudra se saisir des autres grandes questions de société que nous ne pouvons indéfiniment cacher sous le tapis.
Le temps du courage est venu !

Concernant la peine de mort, je voudrais vous donner à lire la Préface du Dernier jour d’un condamné de Victor Hugo, qui éclaire les esprits au lieu de les entraîner dans une spirale de violence qui abolit toute réflexion : «Ceux qui jugent et qui condamnent disent la peine de mort nécessaire. D’abord, – parce qu’il importe de retrancher de la communauté sociale un membre qui lui a déjà nui et qui pourrait lui nuire encore. – S’il ne s’agissait que de cela, la prison perpétuelle suffirait. À quoi bon la mort ? Vous objectez qu’on peut s’échapper d’une prison ? Faites mieux votre ronde. Si vous ne croyez pas à la solidité des barreaux de fer, comment osez-vous avoir des ménageries ?
Pas de bourreau où le geôlier suffit.

Mais, reprend-on, – il faut que la société se venge, que la société punisse. – Ni l’un, ni l’autre. Se venger est de l’individu, punir est de Dieu. La société est entre deux. Le châtiment est au-dessus d’elle, la vengeance au-dessous. Rien de si grand et de si petit ne lui sied. Elle ne doit pas «punir pour se venger» ; elle doit corriger pour améliorer. Transformez de cette façon la formule des criminalistes, nous la comprenons et nous y adhérons.

Reste la troisième et dernière raison, la théorie de l’exemple. – Il faut faire des exemples ! Il faut épouvanter par le spectacle du sort réservé aux criminels ceux qui seraient tentés de les imiter ! – Voilà bien à peu près textuellement la phrase éternelle dont tous les réquisitoires des cinq cents parquets de France ne sont que des variations plus ou moins sonores. Eh bien ! nous nions d’abord qu’il y ait exemple. Nous nions que le spectacle des supplices produise l’effet qu’on en attend. Loin d’édifier le peuple, il le démoralise, et ruine en lui toute sensibilité, partant toute vertu. Les preuves abondent, et encombreraient notre raisonnement si nous voulions en citer. Nous signalerons pourtant un fait entre mille, parce qu’il est le plus récent. Au moment où nous écrivons, il n’a que dix jours de date. Il est du 5 mars, dernier jour du carnaval. À Saint- Pol, immédiatement après l’exécution d’un incendiaire nommé Louis Camus, une troupe de masques est venue danser autour de l’échafaud encore fumant. Faites donc des exemples ! le mardi gras vous rit au nez.»

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