Appartenant au cercle très privé des doublement palmés au Festival de Cannes et représentants de deux écoles différentes du cinéma, Francis Ford Coppola et les frères Jean-Pierre et Luc Dardenne étaient les invités des Master Class tenues lors de ce 10ème FIFM, respectivement les mardi 8 et mercredi 9 décembre. Il est de coutume de distinguer les deux écoles cinématographiques, l’américaine et l’européenne, en particulier la française avec «la nouvelle vague» (ici la belge, la francophone) par le fait que les réalisateurs hollywoodiens se tiennent scrupuleusement au scénario, les seconds privilégient plus une souplesse au niveau de la mise en scène. Lors de sa «Master class» mardi 7 décembre, Francis Ford Coppola s’était fixé au scénario préétabli: «En m’invitant à la Master Class, on m’a expliqué qu’il y aurait des étudiants avec lesquels j’échangerai». C’est ainsi qu’au bout de la deuxième question de l’animateur, Coppola a donné le droit à la parole et au questionnement aux jeunes étudiants en cinéma venus nombreux à cette rencontre autant que les acteurs, les cinéastes, artistes et écrivains marocains et étrangers. Coppola avait aussi fixé l’approche et la finalité de cette rencontre : «je voudrais pouvoir vous transmettre quelques chose de concret qui pourra vous aider dans la fabrication de vos films ( l’écriture de scénario, la musique de film, l’interprétation, les nouvelles technologies cinématographiques…)». Ayant une filmographie de plus d’une trentaine d’œuvres dont la trilogie du « Parrain», «Apocalypse Now» (Palme d’Or au Festival de Cannes) et dernièrement «Tetro», pour cette rencontre, Coppola a même imposé son titre: «Conversation avec Coppola», lui qui est l’auteur du film «Conversation secrète», Palme d’Or en 1974. Son argument : «Je ne me considère pas comme un «master», un maître, j’ai choisi mon camp, je suis un eternel étudiant». Et d’expliquer: «C’est parce que le cinéma est encore jeune, il a à peine cent ans bien qu’en une période si courte, beaucoup de chefs-d’œuvre ont été enfantés. C’est aussi parce que le cinéma n’arrête pas d’évoluer : au début, juste la vue des images animées d’un train en marche était un spectacle extraordinaire». Selon ce réalisateur de 70 ans, «le cinéma ne pourra pas évoluer si l’on se complaît à faire toujours les mêmes films avec les mêmes ingrédients pour satisfaire une demande de producteur avide d’argent». L’art, a-t-il défini, c’est de prendre des risques : «je dis toujours que faire du cinéma sans prendre de risques artistiques ressemble à un couple qui veut avoir un enfant sans jamais faire l’amour». «Je dis souvent à mes enfants que la raison d’être d’un artiste est de ne pas mentir dans son art. Parceque les membres de la société sont obligés de mentir pour survivre alors que l’artiste par le biais de sa poésie, de ses métaphores, de son œuvre, a pour, but d’éclairer la société, l’humanité et non d’être limité par elle», a souligné Coppola, incitant les jeunes réalisateur, ses enfants, à toujours prendre des notes en les datant : «les notes ce sont votre bras droit pour l’écriture de vos scénarios». En ce qui concerne les Dardenne, ils sont des cinéastes sociaux engagés qui n’ont jamais oublié leur début dans le documentaire et qui ont su marier le réalisme et le romanesque. Ils ont imposé un style à leurs acteurs et même une certaine idée du cinéma. Mercredi 8 décembre lors de la Master Class, il se sont livrés, répondant aux questions de l’animateur Jean-Pierre Lavoignat, un peu comme s’il s’abandonnait au hasard de la mise en scène. Contrairement aux cinéastes d’Hollywood, dans les films des Dardenne, il n’ y pas de choses concrètes écrites dans le scénario. « C’est en travaillant sur le plateau que l’on trouve des choses concrètes pour construire nos films » ont –il expliqué. Concernant l’interprétation du comédien, ils soulignent que ce dernier doit s’abandonner et oublier tout ce qui le construit dans la vie, attitude que la plupart des acteurs ont des difficultés à adopter et qui fait qu’on les sent jouer un rôle. « Nous voulons faire des films contre une ambiance de cinéma, contre un cinéma trop convenu, trop écrit, trop scénarisé, contre un cinéma où on n’ose pas prendre de risques», ont-ils indiqué. Les frères Dardenne ont reçu la Palme d’Or à Cannes pour «Rosetta» en 1999, qui raconte le combat désespéré d’une jeune femme en quête d’un emploi et «L’enfant » en 2005 qui évoque le sort de jeunes parents instables socialement dont la vie bascule avec la venue d’un enfant.
Après, il n’y a plus rien A la veille du palmarès officiel, les pronostics vont bon train : déjà l’opinion publique du festival a sa petite idée sur les possibles prétendants à la célèbre Etoile d’or de Marrakech…Mais cela reste très éclectique en l’absence du coup de cœur absolu (à deux jours de la fin) qui suscite l’unanimité (l’un des critères étant l’applaudimètre, très mitigé). Tout maintenant est dans la tête du mythique président du festival, John Malkovitch, qui nous concoctera un verdict à la hauteur de son brillant jury. Tout en rappelant que le charme d’un palmarès est de surprendre. On rappelle, par exemple, que l’année dernière avec un président tout autant prestigieux, l’Iranien Abbas Kiarostami, la surprise du palmarès était… qu’il était justement sans surprise, épousant pratiquement les choix du public… Pour cette année, des films ont déjà séduit le public, d’autres l’ont bousculé, voire mis mal à l’aise et d’autres encore l’ont tout simplement partagé. Le film mexicain l’a tout simplement dérouté. «Beclouded» d’Alejandro Gerber Bicecci s’inscrit en effet dans le sillage de la modernité cinématographique avec une narration éclatée dans le temps et dans l’espace. Trois micro-récits, ceux de ses trois personnages José, Felipe et André… des adolescents pratiquement dans le Mexique d’aujourd’hui. Ce sont des amis d’enfance… Ils vivent de palliatifs au sein de familles globalement désaxées… Ils portent en eux les stigmates d’un drame originel qui marquent leur parcours et leur imaginaire comme celui de leur petite communauté en marge de la grande métropole. Le film n’aborde pas frontalement leur histoire. A la place du récit linéaire, il offre une sorte de boucle qui dessine les contours d’une tragédie née quelque part au milieu d’un lac asséché dans les années soixante. Il y a des moments de rupture, des séquences quasi documentaires comme celle, magnifique, de la procession qui rappelle tout l’héritage cinématographique latino-américain pour capter le rituel du sacré à l’instar des images fondatrices de Glauber Rocha. «Beclouded» se termine comme il commence, livrant à notre regard cette détresse permanente, cette soif de la vérité qui habite le hors champ d’un récit fragmenté. Différence de degré et de nature avec le film russe «The Edge d’Alexey Uchitel». A la lisère d’un autre monde. La Sibérie, l’ultime frontière car… après, il n’y a plus rien. En décembre, 1945 des parias de la politique officielle sont déportés dans la Sibérie profonde dans ce qui relève d’un vrai camp de concentration… au cœur de ce dispositif, un homme, une femme et une machine… et surtout une nature sublime filmée d’une manière épique l’impliquant dans le drame tantôt comme adjuvant, tantôt comme opposant. De facture classique dans sa narration, comme dans un western, un héros qui arrive quelque part, accomplit sa mission, sauve la femme et repart dans le lointain paysage, le film interroge l’histoire à travers des figures affichées (allusion au stalinisme) ou symbolique avec l’omniprésence de la locomotive, emblème des régimes totalitaires dans leur manipulation des corps et des esprits. Cette machine qui participe à la destruction de la nature (déforestation gigantesque de tout un continent), casse aussi les hommes et les transforme en «bêtes humaines», pour faire un clin d’œil au chef-d’œuvre de Jean Renoir. Serge Daney définit le cinéma comme un pays supplémentaire et Godard pour sa part assimile le cinéma à «un pays de plus sur la carte», les films de Marrakech prolongent ce voyage dans cette carte sans visas avec en prime des découvertes surprenantes comme l’énigmatique film sri-lankais, «Karma» de Prasanna Jayakody. Un vrai bijou, ciselé plan par plan pour tisser un poème à la Rimbaud dédié à l’amour d’une pureté originelle celle de la position du fœtus qui ouvre et clôt le film. |