ALM : Vous avez fixé pour le 12ème SIEL un thème qui paraît assez problématique : « Le Maghreb, 50 ans après ». Compte tenu des problèmes politiques qui ont freiné tout processus d’échange dans le Maghreb post-Indépendance, que peut-on réellement célébrer ?
Mohamed Achaâri : Nous avons déjà passé 50 ans à parler du Maghreb, c’était une promesse politique. Mais cinq décennies plus tard, on remarque que cette promesse a tardé à se concrétiser. Les circonstances politiques n’ont pas permis le passage de l’utopie à la réalité. N’empêche, sur le plan culturel, on constate qu’il y a eu un échange au niveau de la pensée beaucoup plus qu’au niveau de la création.
Les penseurs maghrébins ont souvent touché aux mêmes sujets. C’est pour cela qu’on a réfléchi à les réunir à l’occasion du 12ème Salon de Casablanca, en mettant à leur disposition un espace de rencontre qui sera une sorte de forum libre. Par cette initiative, on veut savoir comment ces penseurs qui ont toujours fait des recherches ont mené cette tâche et comment ils ont vu cet espace maghrébin évoluer. Le thème « le Maghreb, 50 ans après » est une invitation à revisiter l’histoire de cet espace, d’autant plus qu’il y a une page à tourner.
Simplement, la question maintenant est comment on peut la tourner, est-ce en utilisant l’oubli, ou en ouvrant les plaies ? C’est une question qui appartient au Maghreb d’aujourd’hui, à laquelle il est invité à apporter une réponse pour s’acquitter du devoir de mémoire. Les générations nouvelles sont également intéressées par cette question de l’histoire, qui doit être tranchée pour que l’on puisse aller de l’avant.
Nous avons aussi choisi ce thème parce qu’il n’y avait pas de véritable échange entre les auteurs maghrébins. C’est sur la base de ce constat que nous avons décidé de les réunir dans un seul espace, dans l’espoir que cela pourra donner naissance à des projets de co-éditions, de rencontres…
Croyez-vous que le culturel pourrait réussir là où le politique a échoué ?
Quand on échoue sur le plan politique, c’est grave. Mais je crois à la force de la culture. Si on arrive à créer des courants d’idées, des rencontres entre écrivains, journalistes, etc, on peut créer une nouvelle dynamique.
Pour ce 12ème SIEL, qu’avez-vous entrepris pour stopper le phénomène de la criée publique et la ruée des marchands d’une certaine littérature obscurantiste ?
La première chose à laquelle je me suis affronté au début de mon mandat, c’est la situation du Salon qui était désastreuse. Je crois que du moment où l’on fait les choses de manière improvisée, on s’attend à tout. Au début, j’ai trouvé énormément de marchands de livres qui importaient des tonnes et des tonnes d’ouvrages obscurantistes. Et du coup, le livre moderne n’avait plus de place. La laideur des stands devait en rajouter au tableau. A ce moment, il était très difficile de faire venir un éditeur d’Europe, d’Afrique ou des pays arabes. Il aura fallu mener un travail colossal depuis l’an 2000, en parfaite collaboration avec les professionnels du livre, l’OFEC… Je considère que ce à quoi vous faites allusion est vraiment derrière nous.
Comment se présente aujourd’hui le Salon ?
Depuis l’année dernière, on est arrivé à la vitesse supérieure. Ce Salon est devenu réellement international, il est également devenu professionnel, d’autant plus que les professionnels du livre sont partie prenante dans l’organisation ; le travail de communication se fait aussi de manière professionnelle, sachant que le budget consacré par le ministère à la Communication s’élève à plus d’un million de dirhams. Le Salon aujourd’hui a un impact réel sur l’économie du livre, un chiffre d’affaires de plus de 60 millions de dirhams est réalisé sur chaque salon, plus d’un demi million de citoyens visitent le Salon, les relations entre le Salon et les sphères internationales sont très étroites.
Nous sommes accrédités auprès d’une trentaine de Salons internationaux, avons des contrats d’échange de stands avec énormément de Salons de par le monde et enfin le Salon aujourd’hui n’est pas qu’une activité économique, il est aussi une grande manifestation culturelle. Cette année, on a plus de 200 participants aux différentes activités. Et je peux vous dire que pour la première fois on a été submergés des demandes de participation aussi bien pour les locations de stands que pour les activités culturelles.
Vous attachez certes une grande importance au volet « Débat ». Mais rien n’a jusqu’ici été fait pour publier les actes des rencontres avec les penseurs. Ne pensez-vous pas combler aujourd’hui cette faille ?
Nous allons certainement publier quelques actes des colloques qui sont organisés dans le cadre du Salon. Cela dit, nous veillons à faire en sorte que le contact entre auteurs et public soit direct, nous privilégions l’interaction avec ce public, car notre vœu est que nous ayons affaire à des intellectuels dans la cité, c’est cela l’essentiel.
En dépit des efforts déployés en faveur du livre, un best-seller ne dépasse encore et toujours pas les 5000 exemplaires. Comment surmonter la crise de la lecture au Maroc ?
Il y a vraiment deux choses à mettre en évidence. D’un côté, la lecture, disons-le très fort, est limitée pour plusieurs raisons objectives, ce n’est pas une fatalité. Nous sommes d’ailleurs en train de faire des études sur l’état de la lecture au Maroc en collaboration avec l’Unesco. Par cette action, nous voulons identifier les handicaps qui freinent la lecture au Maroc. Je suis persuadé que cela est dû principalement au problème de la diffusion, sachant qu’il existe au Maroc une seule maison de distribution : Sochepress. Sur le plan de la communication autour du livre, nous enregistrons un grand manque à gagner.
A titre d’exemple, il n’y a aujourd’hui pas une seule émission sur le livre qui mérite ce nom. En ce qui concerne l’édition, nous savons que ce secteur a réalisé une bonne évolution. Nous savons aussi que des tranches sociales lisent beaucoup plus que d’autres, qu’il y a une littérature qui se vend mieux que d’autres. Je suis convaincu que si on arrive à intervenir de manière efficace mais aussi et surtout régulière, on changera le cours des choses. Je peux dire que nous avons aujourd’hui la possibilité de quadrupler le nombre des lecteurs. Contrairement à ce que plusieurs pensent, le livre au Maroc n’est pas malade. Il était malade, mais il ne l’est plus aujourd’hui. Il y a de plus en plus de maisons d’édition, la présence du livre marocain à l’étranger est de plus en plus forte, les titres édités ont triplé…
En rendant le SIEL annuel, quels effets souhaiteriez-vous obtenir ?
D’abord, que l’annualité nous aide à accumuler de manière plus rapide l’expérience et le savoir-faire en matière d’organisation. Puis, nous voulons agir sur la production, toutes les maisons d’édition sont aujourd’hui obligées de préparer de nouvelles parutions parce qu’elles savent que c’est payant. Nous voulons aussi agir sur le nombre des lecteurs, sur la qualité de la présence du livre dans la vie quotidienne des gens. C’est un grand travail pédagogique qui se fait à ce niveau.
Plus de 80.000 enfants ont pu visiter le Salon lors de la dernière édition, on s’attend à un plus grand nombre de visites des enfants cette année. Ce travail pédagogique s’adresse aux communes, aux établissements scolaires, etc. Enfin, le Salon reste un espace d’alimentation des bibliothèques publiques, universitaires… Notre souhait est que le citoyen mette le livre au cœur de ses préoccupations au quotidien.